par Éric Dussert
2000, in La Revue des revues no 28
Il y a dans un mot comme « arsenal » une charge incroyable que les poètes maritimes connaissent bien. L’arsenal c’est la mer, la guerre, les navires, cuirassés ou non, les stocks d’armes. À Brest plus qu’ailleurs, l’arsenal c’est aussi le travail, un lieu d’activité, une richesse. À l’orée de cette nouvelle revue, on a le sentiment très net que son message essentiel est celui-ci : ici, à Brest, on existe, on travaille. Pour un peu on entendrait battre le fer, grogner les protes et les typos. C’est bon signe.
Arsenal est une revue profuse et variée. Comme l’indique son directeur Jacques André dans le rituel exercice d’auto-justification, elle « répond à une richesse créative qui existe, quel qu’en soit le lieu d’origine, linguistique, géographie, social… À moyens modestes, grandes exigences. » On retient la volonté de brasser les textes et de confronter les formes, « celles qui affichent un héritage, celles qui le chahutent ».
Bien entendu, ces dernières sautent au visage. En préambule, Olivier Apert et François Boddaert donnent un extrait de leur « Portatif de la provocation » où s’établit un petit panthéon des grands hommes qui n’auront pas le loisir de reposer auprès de Jean Moulin et de Victor Hugo. De Ravaillac à Sade en passant par Ravachol que Victor Barrucand, fin provocateur lui-même comparait au Christ. Citons encore « Une ville de merde » d’Yvon Beguivin, les « Mares à pisse » de Marc Le Gros, les facéties de Stéphane Goarnisson, l’amuseur de service qui tresse « dix lignes de bling/ et dix lignes de blang » et encore la traduction en breton, en anglais et en italien du poème « L’Insomnie » de Tristan Corbière.
Chroniques, extraits de roman, autofiction et même un drame, l’Arsenal porte en toute légitimité son sous-titre « littératures ». Un large espace est consacré à la poésie. Aux côtés de Paul Le Jéloux, poète « catholique de “gros grain” », José Carlos Becerra et Eva Strittmatter, quelques pages montées par Mario Benedetti permettent de découvrir la jeune garde italienne (Umberto Fiori, Stefano Dal Bianco, Antonio Riccardi). Au bout de la jetée, la rubrique « Arts Visuels » jette sa lumière sur Patrick Corillon, artiste-résident à Brest et expose les documents de « L’Affaire Stördhal » à laquelle fut mêlée, d’après Riwan Tromeur, l’imparable Blaise Cendrars qui n’a jamais raté l’occasion d’embarquer sur une galère. Bon vent à la nef Arsenal.