par Georges Sebbag
1996, in La Revue des revues no 21
La revue est belle et copieuse. Une composition élégante, 384 pages sur papier bible. Le soin, la sobriété incitent à la lecture. On tient bien en main ce format livre. Le titre peut rappeler Commerce. Pour ce premier numéro, dont plus de la moitié est consacrée au « clair-obscur », on se dit que les préoccupations de la rédaction tournent autour de la Peinture, la Poésie et la Société. Comme aucune reproduction ne vient soutenir ni l’entretien avec le peintre Claude Garache ni l’article sur Saenredam, peintre hollandais du XVIIe siècle, on en déduit que les collaborateurs de la revue préfèrent le mot à la béquille de l’image, la précision du langage aux approximations de l’illustration. Le thème central a beau être le clair-obscur, il y a un parti pris, très classique, de rigueur dans l’expression et l’évocation. Les études peuvent être savantes, elles ne sont pas ennuyeuses. Pour entrer dans l’oeuvre mystique de Claude Hopil, on nous donne d’étonnants extraits des Divins Eslancemens d’amour. On sent aussi une volonté tenace et discrète. Le ton est donné, par Christophe Carraud, dès les premières pages de Conférence. Cependant, une des manières de réinventer le clair-obscur, a consisté, contre toute attente, à se pencher sur les mécanismes de la banque et de la haute finance. Deux articles limpides. L’une des deux signatures, celle de l’ancien directeur de la plus grande banque française, qui a récemment défrayé la chronique, produit un effet étrange. En un sens, ici, on chasse d’un revers de la main l’actualité et on entre en littérature, voire même en religion.
Autre bonne surprise. On revisite les grands poètes et penseurs. Et on savoure de nouvelles traductions du début de la Vita Nuova de Dante et du départ de La vie solitaire de Pétrarque.
D’ailleurs, ces deux titres semblent avoir valeur de manifeste pour la revue: solitude de l’amour et amour de la solitude. En fin de numéro, un véritable brûlot annonce à sa façon la prochaine livraison de Conférence qui portera sur « le scandale ». Emmanuel Martineau, dont on connaît les exploits dans la traduction de Heidegger et dans le remembrement des écrits de Pascal, s’attaque à présent aux Illuminations de Rimbaud, dont il nous propose une recomposition sous le titre Enluminures. Les intentions et les résultats sont excellents. Il y a un effort philologique de réunion des poèmes tels qu’on les a édités jusqu’à présent, qui permettrait de restituer les versions originelles assez longues du poète. Mais, voilà, n’y a-t-il pas chez plusieurs poètes une coexistence virtuelle de vers ou de poèmes traversant le temps et l’oeuvre ? Il semble que Martineau a trouvé les raccords d’une des versions possibles. Et Rimbaud a travaillé pour Conférence puisque, et c’est une thèse séduisante de Martineau, certains tableaux, rencontrés par Rimbaud lors de ses pérégrinations muséales, figureraient dans le texte même des Enluminures, non pas tels quels, mais subvertis par un calme et une audace, typiques, par exemple, de quelques rares peintres de la non-figuration ou du clair-obscur.