par Françoise Dufournet
1995, in La Revue des revues no 19
Contre Bande est une publication des centres de recherches liés au programme de pluriformations de l’Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne.
Le cinéma fait de la contrebande : la preuve, c’est qu’une revue se crée pour le démasquer.
Mais le prendre sur le fait n’est pas tâche aisée tant il agite ses leurres et se joue des signes.
C’en est « démoniaque et ce n’est peut-être pas un hasard si la figure de « Mabuse le joueur » apparaît dans les pages de ce premier numéro. (» Les avatars de l’analyse filmique », Olivier Jeudy.)
Qu’est-ce à dire ?
« Fétiches et/ou critiques, toutes les images peuvent être de plein droit soumises à la question » (Éditorial). Reste à les identifier, sachant que les pistes peuvent être brouillées, volontairement (naïvement?) ou non.
Pour démonstration, parmi les films récents retenus pour examen, Bosnà de B.H. Lévy, fait en particulier l’objet d’un dé-montage en règle, tant ce film-piège apparaît comme le prototype de l’entreprise qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes. (« Bosnà, film impolitique ? », Nathalie Nezik.) Film de montage « dénonciateur »? Bien au contraire, « Bosnà renvoie à cette vieille antienne qu’est la notion d’image critique comme aporie du cinéma documentaire », nous confrontant « à ce mauvais objet cinématographique qu’est le film documentaire engagé ». Sa fameuse (fumeuse?) impression de réalité fonctionne comme un leurre, puisqu’elle résulte d’une manipulation idéologique renvoyant à des présuppposés non analysés. L’image engagée comme image subversive? Pas si simple. Ici, le dispositif du montage elliptique d’images d’archives/images réelles se veut critique : en réalité, il ferait directement référence à un cinéma de propagande qui, par l’usage de la caméra subjective et de la voix off, anesthésie l’intelligence du spectateur, en faisant un voyeur. Et le critique avec, qui, loin d’une quelconque analyse des conditions de mise en place du dispositif, se contente de médiatiser le film complaisamment. Pas de remise en cause de l’image réduite au fétiche : intouchable, son objet tient au sacré, voire au tabou.
D’où la salutaire entreprise de Contre Bande accomplissant pour sa part ce travail laissé en plan par les prétendus critiques.
René Allio (Entretien et propos) ne dit pas autre chose quand il oppose deux types de critique également incapables de saisir l’oeuvre : la journalistique-épidermique (c’est trop long, on s’ennuie, c’est bien fait/pas bien fait, ça va marcher/pas marcher…) – dont le beau film de Claire Denis, J’ai pas sommeil, a par exemple, largement pâti. (Cf. « Carnet de notes », Harold Manning) – et la scientifique, qui relève des sciences humaines, et s’apparente à une analyse des oeuvres comme cela se pratique en littérature. Sans oublier, par ailleurs, à son comble dans les années 70, la pratique fétichisante de l’analyse filmique dominée par la fascination de la technique (« Les avatars de l’analyse filmique », Olivier Jeudy).
Et le cinéma, dans tout cela ? Que reste t-il de ce qu’il y a de vivant, de fugitif, de fragile…, dans une oeuvre ? René Allio : « L’idéal, c’est quand les films vont de soi. Prenez le dernier film de Moretti, le spectaculaire n’est pas une composante première, et ce n’est pas sa préoccupation, n’empêche que c’est un formidable spectacle parce qu’il est vraiment émouvant.., c’est une forme superbe parce qu’il y a une telle liberté dans l’expression, dans le ton, dans l’usage des formes filmiques, en même temps qu’une grande ironie, de l’humour. »
Épousant l’enthousiasme du cinéaste récemment disparu pour Journal intime, l’équipe de Contre Bande fait l’unanimité autour de ce film : d’une façon quasi miraculeuse, l’image fétiche et/ou critique trouve ici sa réconciliation. Parce que l’émotion, dès lors qu’elle n’est pas fabriquée, ne brouille pas le regard critique. Et que l’humour et la critique, c’est un peu la même chose. « Il n’y a pas de honte à être ému, à condition que ce ne soit pas le signe de l’aveuglement ou de la manipulation. Le film « préféré » c’est comme « l’image préférée », celle de la rencontre émue, qui ouvre l’accès au domaine de l’imaginaire. » (« Le fétiche actif », Arnold Pasquier.)
« L’important, c’est d’être touché », dit René Allio. Mais soyons sur nos gardes. Premiers lecteurs de Contre Bande, faites acte de vigilance : évitez le piège des images qui fraudent. Puisque nous savons la critique paresseuse et moribonde, n’acceptons pas d’être transformés par elle en consommateurs fascinés, ou cinéphiles compulsifs. Retenons la saine consigne de ce premier numéro : « Spectateurs, résistance ! » (Harold Manning).