par Jocelyne Bernard
1995, in La Revue des revues no 19
Événement accidentel ou temps faible et silence, qui permettent au désir par un demi-mot de se dire. Le premier numéro de la revue Contre-Temps, à travers les articles de René Major, Maurice Blanchot, Jacques Derrida, Roger Laporte, Michel Deguy et bien d’autres encore, questionne le titre même de la revue.
Littérature, art et philosophie s’entremêlent de page en page, afin de saisir au creux de leur poésie, l’écart initial où s’origifle la blessure de la parole.
Contre-écriture, déchirure, effraction de la peinture, l’intérêt même de la revue est sa beauté d’« écritures » : grand format, pages verticales, chaque article inscrit sa question dans une typographie singulière.
Les reproductions couleurs en page pleine ou double page de La Source et de L’Atelier de Courbet absorbent dans leurs masses picturales sombres, telle une illusion optique, l’écho des petites lettres sages de Michael Fried qui, par son acte d’écriture, définit en miroir le reflet, dans l’art de Courbet comme un produit figuratif de l’acte de peinture.
L’écrit de Jacques Derrida, intimement lié à la peinture de Salvatore Puglia, cherche sa place dans un écart, un vide, un silence offert par le tableau et s’abîme dans « l’intraductibilité absolue de la parole-vue à contre-temps de l’écriture en tant que telle ».
La calligraphie de Maurice Blanchot laisse à peine percevoir l’éloignement, l’espace des mots entre eux. Il s’appuie sur !’anacrouse, figure d’un certain tempo musical, pour évoquer les souvenirs oubliés d’un passé qui restitue à tout jamais présente sa propre disparition. « L’esprit du contretemps – pour Hélène Cixous – est là, il est dans l’écriture elle-même, son heureuse difficulté. »
Les mots et leur typographie font signe à chaque instant d’une division que le temps et sa mesure infligent à la pensée. Cette revue annuelle aura pour chaque numéro une thématique particulière. Nous attendons le numéro deux, dont la thématique du voile est prometteuse d’un déploiement d’écritures et de figures tramées d’une aussi belle qualité poétique, nous l’espérons, que ce premier numéro.