Démo(s)

Des mots pour la démocratie

par Marc Bauland
1998, in La Revue des revues no 25

Démo(s) est née de la mobilisation citoyenne suscitée par le mouvement de pétitions en opposition au projet de loi Debré sur l’immigration, en février 1997. Ses fondateurs, désireux de prolonger les débats nés alors, et d’exercer à leur façon leur responsabilité dans l’espace civique, ont conçu un système de réflexion et de dialogue, autour de deux pôles : des débats thématiques organisés par l’association « Démo(s) », et une revue trimestrielle, fonctionnant, selon Laurent Wajnberg, président de l’association, comme un carrefour non dogmatique « où l’on puisse, […] confronter idées, convictions et expériences ».
C’est ainsi que, comme pour s’interroger eux-mêmes sur les raisons leur entrée dans le concert éditorial, les acteurs de Démo(s) ont conçu un premier numéro sur le thème de « l’engagement ». Celui-ci est considéré, dans un premier temps dans sa dimension individuelle : la première section – « Visages » – dresse une série de portraits d’hommes et de femmes impliqués à des degrés divers dans la vie de la Cité : un électeur frontiste, « enragé face à l’état de putréfaction du pouvoir » se pose en protestaire. À l’opposé, Serge Julien œuvre à Orange pour « fédérer […] les associations antifascites des municipalités tenues par le FN » ; Philippe, franc-maçon ne se voit pas engagé, mais se déclare « sensible au Droit et aux vertus de la Raison » ; Arlindo, militant d’Act-Up, a trouvé l’équilibre en s’investissant dans la lutte contre de sida ; Liselotte, impliquée pendant plusieurs années l’humanitaire fait un bilan en demi-teinte ce temps passé au service des O.N.G. ; Dina, Chourouq et Racha, femmes égyptiennes, doivent composer avec les traditions, et notamment le mariage, préalablement à tout positionnement social.
La section « Regards », la plus consistante, vise à embrasser l’étendue des implications théoriques du thème de « l’engagement » en multipliant les éclairages : Philippe Jacerme postule dans « La pensée, le philosophe et l’enjeu symbolique » que « l’engagement de beaucoup de cinéastes, d’acteurs de psychanalystes en faveur des “sans-papiers” est peut-être le signe d’une nouvelle inflexion dans l’exigence d’agir » et s’appuie sur le parcours de Jean-Toussaint Desanti pour analyser « l’inhumanité de la parole “militante” solidifiée en formation de croyance ». Rémy Rieffel juge, quant à lui dans « Les croisés de l’image. Les intellectuels et l’engagement médiatique », que le charity-business et la couverture médiatique massive mais éphémère des grandes causes (Téléthon, Sidaction, etc.) favorisent l’émergence de nouvelles figures « héroïques ou mythiques », en même temps qu’elles créent paradoxalement « l’illusion de participation citoyenne », au risque de susciter le désengagement. « De la haute couture au prêt-à-porter », par Karine Winkelvoss, propose de déchiffrer la culture vestimentaire de la frippe : « Punks, skins, cathos, écolos, l’engagement est aussi une histoire de chiffons ». Par ailleurs, la question est étudiée sous l’angle du désir par la psychiatre Christiane de Beaurepaire (« Engagement et quête identitaire »), tandis qu’Antoine Boulay donne une version plus spirituelle – les saints sont des militants authentiques – (« Il n’est pas bon que l’homme soit seul »). Enfin Claude Perrignon, plus politique, traite du plaisir de faire avancer les choses, de se confronter au « béton de la réalité », et refuse l’idée d’un « crépuscule du militantisme » (« Car il reviendra le temps des cerises et celui des merles moqueurs »).
Vécu ou pensé, l’engagement (ou le non-engagement) peut également s’exprimer dans l’art ; c’est en tout cas le postulat d’une troisième section, « Expressions », composée notamment de textes et de photographies d’Evelyne Clavaud et Walter Gregori, d’une bande dessinée d’Olivier Meissel, mais aussi d’aphorismes et de poèmes. Dans la dernière section, « Traces », sont consignés les propos du débat organisé par l’association sur le thème central de la revue.
La première livraison de Démo(s) semble avoir atteint l’objectif que lui avait fixé son rédacteur en chef, François Foronda, « tenter une renaisssance de la parole politique. » La formule, pluridisciplinaire, est riche et diverse, même si les expériences vécues qui sont relatées en première partie, auraient gagné à être mises en perspective dans la partie théorique ; autrement dit, les « Regards » auraient pu se porter davantage sur les « Visages » et sur les « Expressions ».


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