Dits

Petites pièces traitant d’un sujet familier ou d’actualité

par Annie Chevrefils Desbiolles
2002, in La Revue des revues no 32

Dits, tout en étant une revue institutionnelle publiée par le premier musée d’art contemporain de la Communauté française de Belgique, est dotée d’une régie publicitaire, d’un diffuseur et de deux éditeurs associés (les éditions Luc Pire et Filigranes), ce qui en fait un objet éditorial autonome. De la même manière, les thématiques abordées dans la revue sont issues de la programmation du MAC’s sans cependant s’y restreindre : chaque numéro s’ouvre, comme l’indique le sous-titre, à « un sujet familier ou d’actualité » destiné à un lectorat plus large que le seul public du musée. Le support revue est donc pensé comme le musée dont il cherche à être la traduction éditoriale : un « outil de diffusion de la connaissance pour tous » dans un contexte social et économique défavorable.
Le Musée des arts contemporains en Belgique francophone est situé, certes, dans l’un des plus beaux sites d’architecture industrielle d’Europe du Nord – l’ancien charbonnage du Grand-Hornu –, mais cette région connaît aussi un des plus hauts taux de chômage (30 %) du pays. La conception qu’a de son travail le directeur du musée et de la revue a été nourrie par l’histoire du site qui, loin de toute évocation vague et mélancolique d’un passé révolu, constitue un point d’ancrage à la fois d’un vécu et d’un imaginaire collectifs auxquels il souhaite donner une résonance à travers des productions d’artistes contemporains, et ceci bien au-delà des frontières nationales. L’engagement de Laurent Busine pour sauver, puis donner un projet au site minier du Grand-Hornu ne fait qu’un avec sa vision résolument sociale du métier de conservateur.
Dans le texte introductif, Laurent Busine laisse la parole au ministre de la culture, du budget, de la fonction publique et des sports de la communauté française de Belgique, Rudy Demotte, et au président du musée, Claude Durieux, qui déclarent en commun : « Nous voulons que cette revue soit lue par tous, sans distinction »… Le ton de ces paroles tranche franchement avec l’ordinaire élitiste souvent désabusé, parfois cynique, auquel nous ont habitué depuis quinze ou vingt ans les revues d’art contemporain. Parce que la revue est partie prenante du projet du musée, elle en devient le principal vecteur d’ouverture à l’échelle locale comme au niveau international. À travers ses collaborateurs – « critiques d’art, journalistes, théoriciens ou praticiens de l’art » – Dits sollicite tous les acteurs du milieu professionnel afin de se situer au cœur des débats d’actualité, ce dont témoignent le dossier thématique de ce premier numéro, « L’Hybride », et sa page couverture consacrée à Matthew Barney. Outil de médiation, la revue joue également un rôle pédagogique auprès des publics du musée en prolongeant en quelque sorte la visite. Support de communication et marque de prestige, Dits est un outil de promotion du musée notamment auprès des entreprises partenaires. Ces postures multiples trouvent leur cohérence dans un projet global que le dossier de presse rédigé à l’occasion de l’inauguration du musée le 13 septembre 2002, résume ainsi : « L’idée essentielle consiste à jumeler au sein d’une même rédaction le niveau connaisseur et celui de néophyte par l’entremise d’une écriture où l’auteur prend la peine de définir en marge de son texte les mots spécifiques qu’il utile ; soit, une proposition de lecture à deux vitesses. »
Cette exigence de lisibilité de la revue participe au programme artistique et culturel du musée qui s’articule autour de trois grands axes thématiques : l’architecture, la mémoire, le poétique. Ce point de vue radicalement transversal, en lien étroit avec le site, laisse une grande liberté de choix à Laurent Busine en matière d’acquisition et de programmation. En exonérant le Musée d’une approche strictement historique, qui aurait supposé des acquisitions à la fois trop onéreuses (budget d’acquisition du MAC’s : 250 000 euros par an) et sans fondement au regard des collections européennes déjà existantes telles celles du Musée national d’art moderne de Paris, de la Tate Moderne Gallery à Londres, du Stedelijk Museum d’Amsterdam ou encore du Ludwig Forum à Aix-la-Chapelle, elle permet à son directeur de préserver un état d’esprit, celui de faire de ce musée et de l’ensemble des supports qui le prolonge, des espaces privilégiés de rencontre où l’art joue le rôle de porte d’accès : « La confusion qui existe dans le propos multiplié sans cesse par les artistes et leurs œuvres est aussi celle qui permet de pénétrer dans la complexité du monde » (Laurent Busine, Mini MAC’s no 5).
Échange, convivialité, qualité d’accueil…, tous ces aspects ont été travaillés en amont par l’équipe du MAC’s durant les trois années du chantier du Grand-Hornu, grâce à des activités telles que des animations nomades dans des classes, des rencontres intitulées « Chez un voisin » pendant lesquelles Laurent Busine présente une œuvre à un habitant du quartier et à ses invités, des stages d’art contemporain en résidence au musée, etc. Bien entendu un programme éditorial ambitieux accompagne ces opérations originales de médiation : le Mini MAC’s, support pédagogique pour les enseignants ; Matulu un journal culturel annuel rédigé par des jeunes au travers de projets de classe, en collaboration avec le groupe Sud Presse ; en partenariat avec l’agence de communication Peekaboo, une collection de livres en couleur, « FUN Museum » « pour les jeunes de 8 à 14 ans, leurs parents et enseignants ». Une collection de livre d’artistes doit également voir le jour.
Ainsi, la cité ouvrière d’Hornu construite dans l’enthousiasme de la révolution industrielle et portée par le pragmatisme paternaliste et utopique de la pensée saint-simonienne, trouve là une seconde vie. On peut en effet s’aventurer à un parallèle entre Henri de Gorge, cet industriel philanthrope qui fonda un phalanstère au Grand-Hornu et Laurent Busine : tous deux cherchent à concilier inventivité et rentabilité en considérant, comme l’écrit Laurent Busine, que « le champ du travail est celui où se côtoient la matérialité du réel et celle du rêvé ».


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