par Éric Dussert
2014, in La Revue des revues no 52
Vêtue d’une couverture typographique très sobre qui évoque sans peine les revues littéraires d’avant-garde des années 1980, la revue Épreuves se présente sous la forme d’un cahier de trente-deux pages bien remplies. Mais contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, ne s’y présentent pas des tentatives littéraires maladroites ou encore non-corrigées, mais bien des articles peaufinés, bouclés, relus et bien relus. Elle n’est du reste pas destinée à accueillir de la fiction mais bien de la critique et, en particulier, de la critique historique et de l’épistémologie.
Cet objet modeste dans sa présentation est un peu remarquable par les temps qui courent – où l’on préfère lancer un nouveau mook même s’il on n’a rien à dire –, d’autant que dépourvu d’éditorial il laisse à ses lecteurs le soin de deviner à quel projet il répond. C’est gratifiant au fond, et cela laisse imaginer comme une énigme sous les pages, énigme imaginaire dont le seul lot pourrait être d’en apprendre sur la nuageuse érudition du jésuite Jean Hardouin (1646-1729), qui ressemble comme un frère à Athanase Kircher, ou sur « l’heure du destin » issue d’un pamphlet du militaire H. Froebenius qui marqua le jugendstil allemand, la pensée de l’anthropologue Leo Frobenius (qui n’a rien à voir avec le premier) et, natürlich, la montée au pouvoir des nazis.
Aussi peut-on avancer qu’Épreuves a été conçu par trois jeunes chercheurs, Noel Blanco Mourelle, Adrien Frenay et Louis Watier, qui destinent la revue à accueillir trois fois par an des articles, fruits probables de travaux en cours — ce qui justifierait cet espace de mise à l’épreuve de la lecture des pairs. Tendraient à nous donner raison des « News from home » sur des aspects bien ethnographiques de la vie doctorante (« home » étant alors l’alma mater) et même une note de lecture relative à l’espace dans le cadre de l’étude des cénacles littéraires… Tout épistémologie, philosophie et sciences humaines, cette publication qui tient à la fois de l’éphémère et du bulletin classique a le double avantage d’avancer sans masque et avec une grâce remarquable dans l’univers parfois maussade des périodiques universitaires.
La deuxième livraison devrait être consacrée à Shakespeare, Bentham et Coleridge, tandis que la troisième dressera la table, nous dit-on, avec les noms de Paulhan et de Krauss. La curiosité ressentie à cette double évocation devrait souligner s’il était besoin le caractère bienvenu d’Épreuves.