par Éric Dussert
2006, in La Revue des revues no 38
Études céliniennes
No 1, automne 2005
Directeur : André Derval
Comité de rédaction : Isabelle Blondiaux, Émile Brami, André Derval, Greg Hainge, Marie Hartmann, Éric Mazet, Isabelle Milkoff, Christine Sautermeister
Adresse : 3, rue Monsieur F-75007 Paris
Prix : 25 €
Le champ de l’exégèse célinienne est l’un des corpus les plus importants des études littéraires françaises du XXe siècle. Et son étendue, à peine maîtrisable pour tout dire, n’est pas la moindre de ses particularités. La personnalité complexe de Céline et la richesse de son œuvre puissante ont généré tout à la fois répulsion et adhésion, voire entichement, pour ne pas dire fanatisme. Très étendu, ce champ est donc notoirement miné, et il faut de l’obstination au novice pour démêler les fils d’une glose pléthorique, croissant sans cesse à un rythme un peu vif, sur des terres un peu glissantes parfois.
L’arrivée dans ce paysage des Études céliniennes laissait-elle craindre une surenchère ? Sans doute non. Publiée dans le cadre de la Société des études céliniennes, cette nouvelle venue dirigée par André Derval manifeste de prime abord toute la sérénité nécessaire à l’analyse, et son comité de rédaction, coopté parmi des « céliniens » à sang-froid, présente les qualités requises pour aborder un sujet aussi politique qu’épineux avec l’attitude idoine, c’est-à-dire retenue, rigueur et curiosité.
Sous une couverture d’une grande sobriété, c’est en effet une revue savante de belle tenue qui vient de prendre ses quartiers. Et joliment, puisqu’elle débute en offrant des articles très nourrissants, et intelligibles, sur des sujets neufs – on se demande d’ailleurs pourquoi ils n’avaient pas encore été traités –, tels que le masque dans Guignol’s Band (David Décarie), la vision célinienne de l’Histoire exprimée dans Semmelweis (Marie Hartmann), les rapports de Céline et Rimbaud (Eric Mazet) au sujet desquels Dominique Poncet a annoncé en marge de La Main de singe qu’il donnerait quelques pistes encore inédites ou, et c’est beaucoup plus inattendu, la réception du Voyage au bout de la nuit en Russie soviétique (Olga Chtcherbakova). Suivent des notes de lecture consacrées à l’actualité éditoriale de Céline – où l’on assiste à quelques remises en question bien naturelles dans des articles singulièrement informés –, une chronique de la vie de la Société des études céliniennes et, en guise de prime, deux rubriques documentaire et bibliographique passionnantes : celle-ci établissant la nomenclature illustrée des traductions de Céline entre 1985-1989, celle-là dénichant dans La Revue anarchiste d’octobre 1933 un article de Nobody sur le Voyage ainsi que les « Points de vue d’un solitaire » nommé Bardamu sur le cas de l’« Infortunée Violette Nozières », un commentaire d’actualité où s’exprime toute la fougue d’une plume sans pareille.
Substantielles, précises, lisibles, originales et rigoureuses, ces Études céliniennes sont d’ores et déjà un lieu où la recherche célinienne se manifeste sérieusement, solidement. Elles ne laissent qu’un regret, celui de ne pouvoir gommer notre ignorance en la matière plus d’une fois par an.