par Valérie de Saint-Do
2014, in La Revue des revues no 52
exemple, objet de contagion politique
L’argument est ambitieux : construire un projet collectif ayant en charge – comme morale et comme intensité – d’ajuster pensée, vie, morale et politique. L’objet est sobre et beau : le numéro 1 de la revue exemple se déploie sur un format carré, typographie limpide et mise en page agréable, ponctuée des captures d’écran d’Artavazd Pelechian.
Une revue politique et qui s’annonce comme telle ; une revue dont le titre explicite l’objet : « ré-articuler la politique et la pensée ». Par l’exemple, sans majuscule : l’exemple ne saurait être modèle. Et les modèles, les auteurs s’en émancipent. Il est bien évidemment possible, au fil des pages, de tisser une cohérence de la pensée politique, sous des mânes qui vont de Badigeon à Rancière, d’Agamben à Pasolini, honoré par un magnifique poème d’Edoardo Sanguinetti et par la reprise de « La rage ». Mais ce qui singularise exemple, c’est de s’aventurer vers une analyse et prospection hors des étiquettes, et des maîtres penseurs. Le savoureux récit de Martin Mongin qui clôt ce premier opus, « Claude Pinson, émancipateur », apparaît à cet égard comme une belle allégorie du projet de la revue : nul n’émancipe personne, et chacun peut émanciper chacun.
De quoi s’émancipent les rédacteurs de exemple ? De l’économie – et a fortiori de l’économisme. On pense à Mark Twain cité par Serge Latouche : « Quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes en forme de clous, et le clou de l’Occident, c’est l’économie ». Ce qui pourrait les rapprocher des réflexions sur la décroissance, mais cette étiquette serait comme les autres trop limitative. Car surtout, exemple s’affranchit des cases et des spécialisations. C’est peut-être là son trait le plus frappant : non seulement la revue mêle politique, philosophie, art, urbanisme, démocratie, mais elle les brasse souvent au sein d’un même article, balayant avec brio l’interdit trop souvent intériorisé d’écrire sur autre chose que sa spécialité. Où trouverait-on ailleurs un acteur de la décroissance qui, tel que Jean-Claude Besson Girard, conjugue artistiquement le slogan « décoloniser l’imaginaire ? » Un pétrissage entre pensée, art, politique auquel fait écho le texte de Mike Davis « Qui construira l’arche ? ».
Enfin, exemple s’émancipe aussi des tabous politiques : celui de l’opprobre qui frappe le mot communisme ailleurs que dans les revues marxistes, celui de la condamnation systématique de « l’excès » ou de « l’émeute », à Notre-Dame des Landes par exemple. Une réappropriation tonique d’une pensée multiforme qui, en ne s’interdisant aucune exploration, tord joyeusement le cou à la confiscation des experts, une affirmation devenue rare du droit de l’intellectuel à penser contre le technicien. Et à partager sa pensée. Car exemple se veut une revue agissante, et entend bien provoquer, ailleurs que dans ses pages, ce qu’elle nomme des Forums réels. C’est un premier opus dont on attend impatiemment les suites. Un coup d’essai réussi, qui corrobore ce que les amoureux des revues savent de longue date : dans une période où certains toujours en mal de pères déplorent l’absence de grandes voix philosophiques tutélaires, ce sont les collectifs qui réinventent la pensée, la politique et l’art, non sans références mais avec une nécessaire irrévérence vis-à-vis du surplomb des penseurs « autorisés » et de leur autorité.