par Éric Dussert
2005, in La Revue des revues no 37
Originaire des lacs pyrénéens, la fario, bien connue des pêcheurs à la ligne, n’était jusqu’à présent qu’une truite commune (Salmo trutta fario pour les intimes), mesurant de 20 à 35 cm, pesant de 150 à 400 g, qu’une espérance de vie généreuse pouvait mener jusqu’à ses 13 ans. C’est du reste tout le mal que l’on souhaite à la revue Fario (Gayona revista fario, probablement), qui a vu le jour dans la proximité du prix du Petit Gaillon, des éditions La Bibliothèque et de l’association L’Animal de Pline-Hélikon. Une revue semestrielle d’art et de littérature donc, qui a placé une vignette bleu sur sa couverture quand la truite, elle, arbore de voyantes taches rouges. C’est que Fario, sobre et élégante, s’affiche dans une vêture néo-classique – celle, traditionnelle, qui la rapproche par exemple de Théodore Balmoral ou de Conférence – et une mise en pages aérée et confortable. Quoi qu’il en soit, les pêcheurs le savent, c’est sous la surface qu’il s’en passe et, dans le cas de Fario, des meilleures.
Dès son lyrique liminaire, la rédaction nous propose d’aller voir « Au fond du tonneau » afin d’y trouver « des liqueurs et des questions, de l’étonnement ». Si l’on s’imagine un instant embarqué avec Les Tortues de Loys Masson, parmi les marins maudits de La Rose de Mahé, on rétablit la position et l’on constate qu’il s’agit dans cette livraison d’« Être passager ». Point de tortues donc mais un poisson qui remonte le courant du temps avec de sacrés anciens (Calet, Cingria, Maurice de Guérin, Sadegh Hedâyat), et le redescend en compagnie de brillants contemporains (James Sacré, Henri Maldiney, Pierre Lartigue, Marcel Cohen, Pierre Bergounioux) ou des animateurs et leurs proches (Marlène Soreda, Jacques Damade, Vincent Pélissier).
Anthologique et ambitieux, le sommaire ne propose pas moins de vingt-deux interventions en mots et en images parmi lesquelles se distinguent le très beau Tramway de Savola d’Italo Svevo (traduction de Gilles Moraton, reprise des éditions Anabase, 1995), les notes de voyages en Allemagne de Cingria, ou le « carnet du Vigo », du nom du petit vapeur de 7000 tonnes sur lequel Henri Calet fuit, le 12 avril 1931, la drogue et l’Uruguay. Mais il y a aussi les photographies de Sarah Moon et celles, plus inattendues, du poète suisse Gustave Roud commentées par Marie Frisson, et puis les « Trente-deux poèmes » d’Arséni Tarkovksi en version bilingue – la traduction est assurée par Christian Mouze –, les glaïeuls de Marlène Soreda où se niche la langue de l’enfance, les mini Panatella du cigarillero Lartigue embarqué sur l’Armand-Béhic de Levet (le poète consulaire), les coups de foudre de Jacques Damade, les bidasses au wagon vus par Marcel Cohen, etc.
Ce trop rapide inventaire voudrait démontrer à quel point la variété a primé dans l’élaboration de cet ensemble épanoui. La variété et la surprise. En somme, cette déjà conséquente Fario ne contenant pas d’arête, on aura la possibilité de tout manger, jusqu’à la tête. Bien sûr, les pêcheurs de revue apprécieront, et patienteront (peu) pour connaître le prochain menu (il vient de paraître avec, excusez du peu, la participation de Jean-Baptiste Para, Jacques Réda, Gérard Macé, Charles-Albert Cingria, Jean-Henri Fabre, Alexandre Vialatte, Vladimir Soloviev, Camillo Sbarbaro et Pline l’Ancien). Aux épuisettes.