par Éric Dussert
1999, in La Revue des revues no 27
No 1, mai 1999
Il faut une certaine dose d’inconscience – ou d’assurance – pour lancer une revue nommée Fin. Et contrairement à ce que l’on peut imaginer, il ne s’agit pas dans le cas présent d’un trait d’auto-dérision ou d’un jeu de carabins qui auraient trouvé de quoi placer du paradoxe ou un salut à un temps révolu, siècle ou millénaire.
Fin est publiée sous la direction du poète, photographe, traducteur et reporter Jean Daive par les éditions de la Galerie Pierre Brullé dont le slogan est « art vivant et ensembles inédits ». Il n’y a pas lieu de revenir sur le second terme. En revanche le caractère vivant de l’entreprise éditoriale demande confirmation car la publication est dressée comme une de ces tables auxquelles, enfants, on n’avait pas le droit de toucher. Tout y est tiré au cordeau, la nappe est blanche, il s’agit d’être poli. La maquette est d’ailleurs impeccable avec cette petite touche néo-classique qui plaît parce qu’elle rassure sur le bon goût de ses concepteurs. Point de coquilles non plus, c’est bien le moins. Pas de couleur, du noir et du blanc qui sont parfaits pour refroidir l’atmosphère. Il n’y a donc pas trop de vie sous ces pages, à la notable exception d’une lettre du traducteur Lars Fredrikson adressée à Claude Royet-Journoud débordante, elle, de vitalité.
Passée cette découverte, il est difficile d’en faire d’autres car les collaborateurs sont des auteurs et des artistes établis : Jean-pierre Bertrand, Anne-Marie Albiach, Claude Royet-Journoud, Dominique T. Pasqualini et deux auteurs étrangers L. Fredrikson déjà nommé et le poète américain Robert Creeley dont Jean Daive (auteur de La Condition d’infini) a traduit, nous y voilà, une anthologie de poèmes particulièrement admirables intitulée… La Fin (Gallimard, 1997). Alain Veinstein expose ensuite son expérience d’homme de radio et des « babillages suraigus » de ses interlocutrices, Jean Daive interroge Anne-Marie Albiach sur sa poétique, l’artiste conceptuel Pasqualini opère des mélanges typographiques intitulés « Test de vie » qu’il ponctue de « tof » et de « oug » afin d’accompagner le récit de ses rapports avec divers appareils photos. Il a beau faire, on n’éprouve aucune véritable sympathie pour des pages qui semblent figées, coulées dans le bronze de la reconnaissance d’une élite par elle-même. Il n’est peut-être pas inutile de comparer Fin à Midi, la revue de Françoise Champin. Les qualités les plus sûres de cette publication dont la 8e livraison vient de paraître ne reposent pas sur la composition. Sa maquette est quasi kilométrique. Pourtant ce défaut et l’entassement des contributions qu’il provoque laisse vivre en plein Midi une grande variété de poèmes et d’images qui ne manquent certes pas à Fin, simplement celle-ci les fixe dans une posture glorieuse, à jamais.