par Georges Sebbag
1998, in La Revue des revues no 25
La revue Formules annonce clairement la couleur avec sa dédicace « au siècle Mallarmé (1898-1998) » mais aussi, dans un format livre de 256 pages, avec ses 25 textes ou articles soigneusement distribués sous les rubriques suivantes : Ouverture, Réflexions, Polémiques, Antécédents, Compositions, Mixtes, Critiques, Échos. Les promoteurs de la revue semblent vouloir élargir le propos de Queneau et de l’Oulipo, d’une part, en se réclamant de nombreux ancêtres tels que Poe, Mallarmé, Valéry ou Raymond Roussel, d’autre part, en intervenant activement dans le champ actuel de l’écriture et de la critique. Dans leur éditorial, les directeurs de la revue plaident pour le travail, la rigueur et la forme. Mais voyant poindre l’ennui ou l’illisibilité, ils défendent avec prudence et modération un formalisme constructif dont la règle, à portée du lecteur, engendrerait un plaisir du texte. La poésie contemporaine s’étant largement engagée dans cette voie, Jacques-Denis Bertharion propose de classer les poètes « formulistes », si l’on peut dire, en trois catégories : « les merdreurs » (Christian Prigent), « les réconciliateurs » (Philippe Jaccottet) et « les rhétoriqueurs » (Roubaud, Schiavetta), la troisième catégorie flirtant quasiment avec le programme « formuliste » proprement dit. Selon Jesús Camarero, les littératures à contraintes seraient l’enjeu d’un débat théorique entre l’Oulipo-critique, la grammatextualité, la textique de Ricardou et, dans le sillage de ce dernier, la circularité de Jan Baetens.
La revue ne nous laisse cependant pas sur notre faim, puisqu’elle donne à lire plusieurs échantillons de poésie ou de prose répondant à ses critères de contrainte et d’hypertextualité. Ainsi est-il loisible d’apprécier des pages ou des passages de Jan Baetens, Marcel Bénabou, Michelle Grangaud, Hervé Lagor, Pierre Lartigue, Daniel Marmié et Gilles Tronchet, sans oublier un hypersonnet de Schiavetta, dont les 28 hémistiches ont été empruntés à 28 sonnets remontant pour certains à la Renaissance. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’intérêt de ces textes à contraintes. Mais remarquons que le lecteur est moins tenu de plonger dans le texte ou de s’en imprégner que de répérer des signaux et d’y répondre impérativement. Il est plus ou moins sommé de prendre conscience de la règle du jeu et de la réactiver. À notre sens, la nécessité intérieure de l’écrivain ne se traduit pas par des contraintes externes identifiables et transmissibles. Il y a d’ailleurs un bel exemple, parfaitement analysé par Daniel Bilous dans la revue, à savoir les adresses postales versifiées de Mallarmé. Ici la poésie se frotte durement à la réalité et la subvertit. Quand Mallarmé couche ce quatrain d’octosyllabes sur une enveloppe : « Courez, les facteurs, demandez / Afin qu’il foule ma pelouse / Monsieur François Coppée, un des / Quarante, rue Oudinot, douze. », il met sa propre poésie à l’épreuve. Il ne se donne pas une contrainte, il rivalise avec une forme conventionnelle. La forme poétique est évidemment plus élégante et plus fournie que la suscription prosaïque. Et Mallarmé s’amuse avec la poste et son correspondant ! Nous verrons bien si les rédacteurs et les lecteurs de ce premier numéro de Formules et des prochains pourront en dire autant.