Histoires littéraires

Revue trimestrielle consacrée à la littérature française des XIXe et XXe siècles

par Georges Sebbag
2000, in La Revue des revues no 28

La première livraison d’Histoires littéraires démarre avec l’an 2000. Pourquoi a-t-il fallu attendre ce coup de pistolet symbolique pour que s’opère la jonction de dix-neuvièmistes et de vingtièmistes ? Comment des professeurs, des bibliothécaires, des érudits et des collectionneurs se sont-ils réunis pour mettre sur le tapis leurs interrogations et leurs trouvailles ? La vérité est que depuis des décennies la chose littéraire, enfermée dans un carcan théorique ou rhétorique, triturée par des régiments de spécialistes, tournait le dos à l’idée de vie littéraire et à la vie tout court. Les lettres ou la poésie ne sont pas des abstractions, elles participent de l’histoire, elles ont une histoire. Et ce sont ces bribes d’histoire qu’Histoires littéraires a l’intention de recueillir. Comme le dit Michel Pierssens, d’une part, « l’histoire littéraire ne diffère pas de l’histoire », d’autre part, « l’important est que le savoir que nous élaborons soit solide et possède un sens ».
En parcourant le sommaire de ce numéro, on constate que l’accent est mis sur les documents, les manuscrits, les archives et les fonds d’archives, les correspondances, les envois, les catalogues de libraires, les catalogues de ventes, les bulletins des sociétés d’amis de poètes ou d’écrivains, les sites de la Toile, etc. Voyons quelques exemples de ces informations raisonnées et de ces recherches passionnées. Steve Murphy, dans un article serré et démonstratif, conclut à l’unité du dernier recueil de Rimbaud, après un examen attentif des manuscrits des Illuminations ; il renoue ainsi avec l’ordre adopté dans La Vogue et dans l’édition Vanier et s’accorde plutôt avec la datation proposée par Bouillane de Lacoste ; du même coup il conteste les dates et les « fragments » d’André Guyaux. De son côté, Éric Walbecq nous régale avec de nombreux envois de Léon Bloy relatifs à son ouvrage Le Désespéré : « au capitaine Bigand-Kaire. Ce douloureux livre écrit sur un pal rouge, en plein radeau de la Méduse par un de ceux qui furent naufragés », « à mon Huysmans, et maintenant… crevons ! », « à Jean Lorrain pour me faire aimer », « à Vincent d’Indy […] Le titre est une antiphrase. Au fond, ce livre est l’expression d’un optimisme déchaîné », et ainsi de suite. Les sentiments éclatent dans ces envois. Faudrait-il tenir pour nulle cette confession de confesseur : « Mon très aimé René Martineau Pourquoi n’êtes vous pas un nègre ? J’étais dans une île déserte et vous êtes venu à moi le premier un vendredi ! Or c’était précisément le Vendredi de Notre Dame des Sept Douleurs, fête de la Compassion de Marie, le 29 mars 1901. À cause de cela, très cher ami, et quelque soit votre couleur, vous serez jugé avec une grande compassion. »
Autre article, celui de Marie-Christine Pollet, qui restitue au belge Henri Delmotte la paternité du Voyage dans le Paraguay-Roux, conte ou utopie attribué ordinairement à Charles Nodier. Autre article pertinent, celui de Jean-Pierre Lassalle sur André Breton et la Franc-maçonnerie. On pourrait continuer encore longtemps. En un mot, la revue fourmille de renseignements et nous donne envie de nous adresser directement aux livres, de sonder les faits, de retrouver les protagonistes, de lire et d’interpréter les documents. Les rédacteurs et le groupe compact de collaborateurs rempliront-ils ce vaste programme ?


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