Inverses

Littératures, arts, homosexualités

par Yannick Kéravec
2002, in La Revue des revues no 32

Inverses, revue annuelle apparue en 2001, est éditée par l’association Les amis d’Axieros. Elle se donne comme figure tutélaire ce poète oublié, mort à vingt-huit ans en 1927, archétype de « l’artiste homosexuel ». Si ce n’est pour ses qualités littéraires, c’est pour la liberté de ses écrits où il évoque sans détours des amours « différentes » qu’il mérite d’être tiré de l’oubli. L’association reconnaît en lui un militant avant la lettre, notamment par sa collaboration à la première revue gay française, Inversions.
D’Inversions à Inverses, elle s’inscrit dans l’histoire en pointillé des publications françaises prenant pour sujet l’homosexualité. Inverses se trouve en effet singulièrement isolée dans le paysage des revues francophones. Malgré l’abondance de la production artistique ou littéraire (relevée d’ailleurs dans ses rubriques), les articles ou ouvrages de la littérature scientifique, de la presse et des médias abordant ce thème, elle est la seule, à notre connaissance, à en faire son objet.
Les contributeurs sont essentiellement des professeurs, enseignant en France ou en Europe. Pour certains, les titres universitaires ou diplômes en cours annoncés confirment l’orientation de leurs travaux (Thierry Revol, maître de conférences, donne deux articles sur « La représentation de l’homosexualité dans la littérature médiévale »). Mais dans un contexte universitaire où, du moins en France, les départements proposant des « études de genre » à orientation homosexuelle sont peu nombreux, cette revue est, pour certains de ses auteurs, le lieu où développer une visée singulière de leur domaine de recherche (Vincent Simonet, professeur de langue et civilisation françaises livre deux commentaires sur les œuvres d’Hervé Guibert ou Sandro Penna).
Littératures, arts, homosexualités : ce sous-titre explicite le propos. C’est dans ce cadre d’étude d’œuvres que sont éventuellement évoqués les thèmes et débats contemporains, artistiques, politiques, sociaux.
Littératures : elles fournissent l’essentiel des articles. Elles, car les époques ou les origines géographiques des écrits sont diverses, de textes anciens (littérature médiévale, « Le Mythe des géants sodomites de Patagonie dans les récits de voyage des chroniqueurs des Indes occidentales aux XVIe et XVIIe siècles », par Nicolas Balutet) aux romans allemands contemporains (Daniel Bengsch), du théâtre de Federico Garcia Lorca (N. Balutet) à « Littérature et société en Italie » (Francesco Gnerre).
Arts : la revue convoque les arts plastiques, peinture ou photographie, d’artistes contemporains (Michel Giliberti, Michel Guinot) ou d’aînés prestigieux (Herbert List, Francis Bacon) : la confrontation, même dans le cadre d’un entretien amical, peut être cruelle. Saluons toutefois la qualité des reproductions dans la deuxième livraison, de bon augure pour la suite. Quant au cinéma, il est l’objet d’un article de Sandeep Bakshi qui élargit encore l’horizon de Inverses en commentant « deux films du cinéma parallèle en Inde ». Cinéma et littératures donnent corps à la rubrique « Annuaires », recension des films et des livres – fictions, essais, biographies… – de l’année, où l’homosexualité apparaît comme thème ou comme motif. Le nombre des œuvres mentionnées prouverait à lui seul la pertinence du projet de cette revue. Certains titres sont commentés dans des « Résumés » dont le ton peut s’éloigner de l’érudition, des accents universitaires pour nous livrer simplement l’avis d’un lecteur, d’un spectateur.
Homosexualités : ici, le pluriel prend d’autant plus son sens. Pour rendre compte des diverses expériences et représentations qu’elles impliquent selon l’époque ou le lieu, des mises au point sont nécessaires, des définitions sont à préciser, des précautions sont à prendre, ce que ne manquent pas de faire la plupart des articles. Ce pluriel manque de voix de femmes, contributrices sollicitées ou auteures commentées, pour ne pas amputer de moitié ce pluriel, délaissant les homosexualités féminines (cependant, quatre chroniqueuses sur dix-huit auteurs interviennent dans les « Résumés » des rubriques « Annuaire » ; dans la dernière livraison, parmi les quatre-vingt-dix œuvres développées, une bonne part évoque ces situations au féminin).
La revue passe en deux numéros de 175 à 265 pages. Malgré une maquette austère, une couverture qui, sans tomber dans une esthétique queer, camp, kitsch ou autre, pourrait être plus accueillante, elle est très aérée et fait l’effort de l’illustration. Cette revue constitue donc une initiative de grand intérêt : l’importance de la recension contemporaine, ajoutée au terreau des œuvres antérieures, le prouve, offrant une mine de sujets de recherche.

 

Coordonnées de la revue


Partager cet article