par Éric Dussert
2010, in La Revue des revues no 44
L’heure est au jardin, au sentiment agreste, aux choses de la nature proche qu’une discrète rébellion de l’âme face au déluge de la production, de la technologie, du plastique et de l’électricité place au devant des préoccupations. De fait, à trop imposer au citoyen de se vivre en acteur essentiellement économique voué à la consommation des biens produits, il semble qu’au fond de l’Homme se réveille un ancêtre oublié, une énergie, un désir de retrouver ce qui lui fait du bien et un désir qui l’obsédait sans qu’il y prenne garde depuis… depuis toujours sans doute. De l’écologie à la culture de soi, du grainetier au philosophe, le jardin est le lieu central, l’Eden à portée de main, une ressource et un carrefour des idées, et, peut-être, la seule utopie réalisable. D’où, sans doute, ces labyrinthes qui ont fait la notoriété des plus beaux jardins, comme le rappelait récemment Édith de La Héronnière dans un essai appétissant, Le Labyrinthe de jardin ou l’art de l’égarement (Klinscksieck, 2009). On ne sera donc guère surpris qu’une revue consacrée aux jardins, et à l’idée du jardin, paraisse désormais. Littéraire et philosophique, elle s’offre avec une grande sobriété – on est loin du jardin de curé – qu’elle sait compenser par la variété des essences qui la compose. Au sommaire les noms de Malcolm de Chazal, Sheppard Craige et de Philippe Jaccottet poussent aux côtés des floraisons de Marie Rouanet ou d’Édith de La Héronnière, tandis que grimpent les essais d’Augustin Berque, de Lionel Dax, de Sylvain Hilaire et l’entretien de l’écrivain-paysagiste Gilles Clémenti. Partout le « genius loci » et le sens du lieu, l’Homme dans son écrin de nature, l’humanité réconciliée avec son environnement, la recherche de l’harmonie –c’est sans doute pour cela que l’on s’arrête nettement sur les propos du jardinier zen Nan Shan, « Fengshui et fengjing, spécificité locale et création », qui ne sont pas sans rappeler les chroniques de Joël Cornuault publiées dans ses Notes de Phénix, notamment ce « Pèlerinage au Jardin inexistant » : « J’ignore si un jardin planté et bêché mentalement peut surpasser un jardin existant, mais je revois à mon tour divers jardins dans lesquels j’ai rêvé sous le soleil zénithal ou à l’ombre des branches en berceau, sans en être le propriétaire ». Et Cornuault d’évoquer Fiesole, Lisbonne, Generalife, monts Dore, le « Kiosque des vagues bleues » en Chine…
Qu’on est loin, vraiment, de l’enquête lancée en août 1913 par la revue de Jean-Marc Bernard, Les Guêpes, sur « La renaissance du jardin à la française »… Un siècle plus tard, à l’abord du quadricentenaire de la naissance de Le Nôtre (1613), on se sent au sein de Jardins plus près de cet artiste et de ses confrères d’ailleurs que des intellectuels à principes poussiéreux d’une avant-guerre tristement conservatrice et pleine de « tradition nationale », sans grâce, sans autre fantaisie que le recours au classicisme. Bienveillantes, les préoccupations de Jardins, cosmopolites et libres, sont de nature à nous rappeler qu’avant de cultiver son propre jardin, il n’est pas inutile de forcer les portes des enclos dispersés par le monde. De Sicile en Asie, pour commencer, en attendant la prochaine livraison…