par Jérôme Duwa
2006, in La Revue des revues no 38
L’Arsenal
Littérature
No 1, novembre 2005
Éditeur : Association Revue L’Arsenal
Directeur : Christophe Tymen
Adresse : 19, rue Molitor F-75016 Paris
Site : www.larsenal.org
Prix au numéro : 25 €
Une guerre littéraire couve-t-elle sans qu’on le sache ? On ne veut pas parler d’une guerre du goût déclarée avec un air redoutable et un grand tapage de références allant de Martin Heidegger à Antonin Artaud, le tout mis d’accord par le Président Mao et, pardon j’oubliais, son éminence le pape. Non, cette guerre beaucoup moins sérieuse a mis des habits neufs. Puisque le terme de guerre littéraire contient en lui-même sa charge de dérision, L’Arsenal entend la préparer « pour rire ».
La stratégie se réduit à peu de choses : 1o éviter toute théorisation, ces chinoiseries inutiles et étrangères à la « cadence organique » de l’écrivain entre lire et écrire. 2o Accumuler toutes les armes possibles, c’est-à-dire toutes les formes et modalités littéraires. Bref : tous les moyens sont bons pour une fin indéterminée, puisqu’on ne sait pas exactement à quoi ressemblerait la victoire.
Avec en toile de fond, le dessin par Dürer d’une tête d’apôtre fixant l’au-delà, le sommaire de la revue annonce un programme selon cinq rubriques : poésie, théâtre, fragments romanesques, traduction et témoignages. Pour mener bataille, il faut tout de même un peu d’ordre et des troupes d’élite. On compte en effet bien des soldats décorés dans ce premier numéro où se côtoient notamment Raphaël Confiant, Philippe Djian, Philippe Claudel et Jean Rouaud : mais à égrener ces noms, on pourrait croire à tort que le front romanesque serait celui privilégié par L’Arsenal. Commençons donc par renverser cette fausse impression.
À l’avant-poste, c’est la poésie qui s’illustre particulièrement par les Cinq lectures d’Horace justifiant l’italique de Lionel-Édouard Martin. Dans ce long flamboiement verbal, on prélèvera ce petit art poétique : « Écriture, antidote au tropique : même luxuriante en apparence, elle débarde le langage, transforme en silence tout excès de parole ».
Les deux textes théâtraux qui suivent semblent faits, pour reprendre cette expression à Musset, pour être lus dans un fauteuil. Dans « Une colère immense et minuscule », Jean Cagnard plante sur un bout de plage une scène œdipienne où il est plaisant d’entendre : « Les pères font le complexe du créateur parce qu’un jour ils ont éjaculé de façon constructive ». L’autre pièce, signée Emmanuel Darley, campe un roi resté fidèle tout au long de son règne à son seul lit ; brutalement, il se voit placé devant la nécessité de regarder un monde qui se meurt et de l’annoncer à ses sujets. Sa maladresse le rend d’autant plus pitoyable que cet ultime effort, auquel il consent, sera forcément sans lendemain.
On ne s’ennuie certes pas en lisant « Supermatozoïde » de Raphaël Confiant, on rit même souvent d’un rire il est vrai peu subtil : comme chantre de la créolité, Raphaël Confiant a sans doute plus que d’autres sa place dans cet Arsenal, plus en tout cas que les dissecteurs insatiables des secrets de famille. Libre par ailleurs à Raphaël Confiant de saluer son ami René Depestre : on s’en tiendra pour notre part à la voix sans pareille du poète du Cahier du retour au pays natal.
Ce n’est pas sans un certain sentiment de vertige qu’on franchit le pas entre ces fragments romanesques d’aujourd’hui et la traduction par Lionel Duvoy des quatre premiers chapitres de Succession de Diogène de Sinope tirée d’un manuscrit antique de Christoph Martin Wieland (1733-1813). C’est l’histoire, dont on ne se lasse pas, d’un manuscrit retrouvé par hasard. Il est piquant que Wieland prête en 1769 à un grec du IVe siècle avant JC une telle réflexion qui traverse souvent l’esprit lorsqu’on se promène dans les librairies : « Écrire sur le sable ? Cela irait ; je connais deux à trois cents écrivains (pour ne pas parler des milliers que je ne connais pas), jeunes et vieux, dont je voulais qu’ils eussent employé au mieux cette technique, parce qu’ils aspirent à écrire – et parce qu’il leur faut écrire ».
Des deux témoignages qui concluent la revue, on retiendra surtout l’intéressante conférence de Jean Rouaud qui s’interroge sur ce qu’il appelle son métier « d’ouvrier-phraseur » et le présent du roman. Sa thèse est claire : « l’écriture en dépit de quelques tentatives pour faire moderne – lettrisme et autres jongleries phonétiques – est rentrée dans le rang, n’en est jamais vraiment sortie, pas si différente – et même le surréalisme, et même le Nouveau Roman – de ce qui se faisait un siècle plus tôt. »
Si ce n’est pas une déclaration de guerre, ça y ressemble : retour à Stendhal et Flaubert, après un XXe siècle conçu comme simple parenthèse. On attend une riposte à la hauteur dans un prochain numéro de L’Arsenal…