par Éric Dussert
2000, in La Revue des revues no 29
Mieux qu’une revue, L’Atelier contemporain est une bibliothèque. Et mieux qu’une bibliothèque, c’est un panorama replet de ce qui s’écrit aujourd’hui en France et dans les pays voisins de langue française. C’est encore un objet littéraire qu’on se gardera bien de prêter ; il ne nous serait pas rendu. Sa fréquentation conduit à un sentiment de propriété jalouse car l’on sent bien qu’un échange essentiel y a lieu.
Fondé il y a un an et demi maintenant, L’Atelier contemporain semble avoir trouvé d’emblée son identité caractérisée par l’exigence et l’audace – ceci dit sans flagornerie. Son créateur, François-Marie Deyrolle a trouvé la juste mesure de son entreprise en liant avec un indéniable succès une pagination pléthorique à des contributions de grande qualité. Sommaires profus, collaborateurs prestigieux et jeunes auteurs émergents, maquette élégante, prix plus que raisonnable, cet étonnant bouquet littéraire dispose de nombreux atouts qui s’exposent en 383 (no 1) et 576 pages (no 2, automne-hiver 2000). – Le prochain numéro 3 ne décevra pas de ce point de vue si l’on en croit l’ébauche de son sommaire.
Souligner la générosité de la revue ne sera utile qu’aux lecteurs qui ne l’ont jamais rencontrée. Les autres auront forcément remarqué ce gros livre de poche orné en couverture de noms qui signalent son intérêt présent et permettent de pronostiquer sans risque son importance à venir. La liste – un simple fragment – des auteurs des premières livraisons est suffisamment éloquente. Car si, comme l’écrivait Remy de Gourmont, les revues formulent « la littérature de demain », L’Atelier contemporain qui offre les écrits de plusieurs générations d’auteurs, en est le plus beau vecteur aujourd’hui. Derrière la figure tutélaire de Jacques Réda, plus de cinquante prosateurs et poètes nous contemplent parmi lesquels James Sacré, Antoine Emaz, Jean-Claude Pirotte, Claude Louis-Combet, Pierre Autin-Grenier, William Cliff, Jean-Michel Maulpoix, Jude Stéfan, François Cheng, Pierre-Alain Tâche, Robert Marteau, Jean-Luc Sarré, Pierre Chappuis, Gilles Ortlieb, Jean-Paul Chabrier, Claude Andrzejewski, Odile Massé, Isabelle Pinçon, Dominique Meens, Patrick Wateau, le mystérieux Onuma Nemon, Lionel Destremau, Armand Gatti, Bruno Krebs, Pierre Bergounioux, Zéno Bianu, Jean Roudaut, Mathieu Messagier… La liste n’est pas close.
François-Marie Deyrolle n’est pas un inconnu. Entre 1990 (Les Sonnets luxurieux de l’Arétin) et 1997 (Boue d’Antoine Emaz), il a publié sous sa propre marque une centaine de livres – parfois co-édités avec la revue Théodore Balmoral –, puis a cessé son activité et cédé son fonds aux éditions Verdier. Reste qu’on ne croit pas un instant à son statut d’« ex-éditeur ». La tenue de sa revue témoigne au contraire de la poursuite d’une conséquente activité selon des modalités différentes. Si l’on considère qu’un volume de L’Atelier contemporain représente l’équivalent de quatre ou cinq ouvrages complets, il apparaît que l’éditeur a simplement changé son fusil d’épaule. Avec la réédition intégrale de Je ne suis pas mort d’André de Richaud ou du Petit Glossaire de l’argot ecclésiastique de Jean Follain, la publication de Impératif de Michaël Glück et de Pour personne de Cédric Demangeot, il constitue une anthologie des livres qu’il aurait publiés isolément en d’autres circonstances. De même, les dossiers construits autour des œuvres de Jean-Louis Giovannoni, Henri Maldiney, Gilles du Bouchet, Gérard Titus-Carmel ou Théodore Balmoral, la revue complice de Thierry Bouchard, fonctionnent comme autant de monographies compilées. On y aborde le champ de l’art, autre domaine d’élection de F.-M. Deyrolle qui souligne le travail des peintres Alexandre Hollan, Jean-Louis Bentajou Jean Rustin, par exemple, sans offrir de reproduction cependant. C’est là la seule remarque que l’on peut émettre face au travail de titan éclairé que représente chacune des livraisons de cet industrieux Atelier.
Humble plus qu’il est permis, F.-M. Deyrolle s’est effacé totalement de sa création. Son humilité est respectable, pourtant ce ne serait pas faire preuve d’un orgueil déplacé que d’accueillir, par exemple, le lecteur sur quelques mots d’introduction. Ce dernier saurait à qui il doit ses plaisirs cumulés puisque abonné déjà à cette revue exemplaire, il aura cédé à la pure gourmandise.