L’Aventure humaine

par José M. Ruiz-Funes
1996, in La Revue des revues no 22

Tribune ouverte par l’Association Diderot comme espace de « réflexion philosophique exigeante » sur les questions soulevées notamment par les progrès de la recherche scientifique, L’Aventure humaine poursuit son chemin. En partant du constat des « arrêts de pensée qu’induit, dans tous les domaines, la science positive », cette revue propose un lieu de rencontre entre ces savoirs concrets, en pleine mutation, et une mise en perspective philosophique qui servira à dégager les interrogations profondes qu’ils soulèvent. Ainsi, il ne s’agit pas de faire comparaître la science devant un quelconque tribunal de la philosophie, mais de donner la voix aux praticiens de disciplines diverses pour, depuis la multiplicité de leurs points de vue, chercher à déceler impasses et nouvelles perspectives aussi bien dans les sciences (y comprises celles qualifiées d’humaines et sociales) que dans la philosophie.
Au cours de ses deux premières années de mise en pratique, cet objectif ambitieux s’est traduit par la parution de cinq numéros monographiques (dont un double) accompagnés d’un ensemble de comptes rendus approfondis sur différentes publications. La variété des sujets abordés montre parfaitement les tenants et les aboutissants d’un tel projet éditorial. Ainsi, le premier numéro, paru en janvier 1995, fut consacré à replacer dans son contexte le débat écologique, et cela à travers l’exposition des composantes non seulement scientifiques mais aussi économiques, philosophiques et idéologiques du concept de nature. Une deuxième livraison, en juin 1995, s’intéressa à « l’américanisation de la recherche », essayant de dessiner les lignes de force de la division contemporaine du travail scientifique et montrant les répercussions d’une telle organisation sur la science elle-même et sur la vie dans la cité. Après cela, un volume double (automne-hiver 1995) permit d’explorer le vaste terrain de confluence entre « art et nouvelles technologies » : devant ce que Dominique Lecourt dénommait « l’injonction technologique », exhortation plus ou moins intéressée à une rénovation de l’art à partir de l’application des techniques les plus récentes, il fallait redéfinir les spécificités propres de ces deux moyens d’appréhender la réalité pour mieux établir les vrais points de rencontre entre l’un et l’autre.
Tout en gardant l’approche plurielle des thèmes choisis, les deux numéros suivants semblent marquer un retour à des préoccupations plus strictement philosophiques. En effet, l’avant-dernière livraison, datant d’avril 1996, a été placée sous le signe de la « raison ». Il s’agissait non pas d’offrir une nouvelle définition de ce terme – chargé d’une longue histoire et aujourd’hui « éclaté » dans une multiplicité de sens possibles – mais plutôt de montrer « le genre de vouloir qui s’exprime dans le dire du mot raison ». Pour son dernier numéro de novembre 1996 les rédacteurs se sont penchés sur « l’art politique », expression volontairement polémique qui cherche la confrontation avec celle plus en vogue et prétendument neutre de « la science politique ». Le résultat est un volume dense où l’on peut trouver aussi bien la parole politique et poétique de la révolution zapatiste qu’une exposition de la théorie politique de Machiavel et de sa postérité, ou encore un article consacré par Dominique Lecourt à « L’esquive philosophique des sciences sociales ».
On ne nous tiendra pas rigueur si, de l’éloge du projet et de sa réussite (la publication de ces six numéros étant la meilleure preuve), on vient à exprimer un seul regret : la suppression, dès le deuxième numéro, de l’utile bibliographie commentée figurant en fin du volume qui permettait au lecteur intéressé de poursuivre de son côté un approfondissement du sujet.


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