2013, in La Revue des revues no 49
Se substituant au bulletin Dix-neuvième siècle, Le Magasin du XIXe siècle est une nouvelle revue annuelle éditée à Clermont-Ferrand par la Société des Études romantiques et dix-neuviémistes (SERD). Pour dire les choses nettement, il s’agit d’une revue universitaire qui a revêtu les habits du « mook », cet hydride de magazine et de livre (book) très illustré à dos carré qui fait fureur depuis quelques semestres. Produit éditorial « à contenu », à la fois désirable et digne d’être désiré, il n’est pourtant pas revêtu de seules vertus ostentatoires, on l’imagine bien.
Étoffé et destiné à un aussi large public que possible, ce titre d’un genre nouveau dans le paysage de l’histoire littéraire – il ne lui manque que la couleur pour décrocher la timbale – propose une vision riche et renouvelée du XIXe siècle avec la nette préoccupation de rendre public le fruit de recherches transdisciplinaires à un prix abordable via un objet imprimé agréablement manufacturé. C’est selon une double modalité que la revue s’exprime : vecteur universitaire, on l’a dit, mais aussi panorama de la vie culturelle du XIXe siècle, elle se fait à la fois l’écho des recherches les plus contemporaines sur des thématiques transverses qui n’ont guère été envisagées ainsi jusqu’alors – signe que l’université renouvelle ses mandats et se déniche de nouveaux enjeux prometteurs – et donne en gage un pécule roboratif d’actualités culturelles du temps, selon des principes éditoriaux qui vont jusqu’à la mise en scène du cabinet de curiosités, si l’on peut dire, et de l’annexe « à contenu » – comme on sait que l’on commence toujours une revue ou un magazine par la fin, il importe de soigner judicieusement les « utilités ». On trouve donc entre les pages du Magasin du XIXe siècle des illustrations mais point suffisamment pour masquer qu’en ce magasin le soin du rubriquage est manifeste, ainsi que les qualités rédactionnelles mises en montre dès la livraison inaugurale, pleine de promesses.
Entre Magasin pittoresque et Bonheur des Dames, on court un risque, nous déclare la rédaction. Et il est vrai qu’est grande la tentation de s’égarer dans les stocks tant la matière est riche, et le multicolonnage étourdissant. Copier la vivacité de la « petite presse » d’alors (l’attirant nouveau sujet de recherche) reste la grande idée : joindre aux articles de fond sur « la femme auteur » (n° 1) ou sur « les choses » (n° 2) – involontaire tamponnage thématique -, une grande variété d’« articles-variété », justement, ainsi qu’on nomma d’abord la « chronique » : « Par-ci et par-là », « Leur XIXe siècle », un entretien avec des célébrités du monde culturel (Denis Podalydès ou Michel Houellebecq, ce dernier bien plus finaud qu’il s’en donne l’air), récapitulatif des sources sur « Une journée particulière », le 1er octobre 1859 par exemple, notes de lectures ou critiques de l’actualité culturelle contemporaine mettant en scène le XIXe siècle, etc., le tout étant articulé autour d’un dossier d’ampleur, enrichi si c’est possible d’inédits du temps.
Sous la direction de François Kerlouégan, il y eut donc d’abord « La femme auteur » en quinze interventions mêlant aux problématiques romantiques de Marie d’Agoult les voyages dans le Grand Nord de Léonie Biard, Les Amazones de Cécile Chaminade et l’impétuosité toute gauloise de la masculine Marc de Montifaud. Et le Magasin, assez enclin à fournir de la source, de l’illustration textuelle, fort utile pour cristalliser les données en mémoire, livre ici la « Préface d’une galerie de bas-bleus » d’Arnould Frémy (1837), suivi d’un « petit florilège bas-bleu » établi par le directeur de la publication.
Après son numéro inaugural féminin, Le Magasin du XIXe siècle semble se destiner aux sujets transverses qui vont peut-être paraître hérités du XXe siècle, comme ces « Choses » bien pérecquiennes qui soulignent justement le fait que le positiviste XIXe fut un siècle de production, le règne de la banque et du crédit, d
e la baleine et du ruban, du vin et du lait, en un mot de la consommation. On se souvient d’ailleurs que le saint-simonien Louis Jourdan pouvait établir un recueil d’historiettes, des « contes » disait-il, autour de l’histoire de produits de consommation courante afin d’expliciter les mobiles, manœuvres et moteurs de l’économie politique d’alors. Enrichissez-vous, mais comprenez comment…
Contrairement à Histoires littéraires qui, malgré son évolution vers des terres plus contemporaines, n’est manifestement pas parvenu à élargir son lectorat au-delà d’une sphère d’érudits, la voie originale choisie par la rédaction du Magasin du XIXe siècle mérite qu’on lui adresse des encouragements. Loin de la vulgarisation sans goût, l’habile transformation de la revue universitaire en un nouvel objet éditorial constitue une ébauche de réussite. Avec une maquette qui se cherche encore (on imagine la partie magazine de la revue traitée en nombreuses colonnes avec jeux typographiques à la façon des petits journaux de l’époque, afin de rompre avec l’empagement du dossier qui précède), le Magasin est apparemment sur la pente qui nous fera dire qu’on y trouve tout comme en certain lieu parisien. Et puis on se prend à rêver d’un Magasin du XXe siècle. à moins que ne se conçoive celui du « XIXe et du XXIe réunis »…