par Éric Dussert
2005, in La Revue des revues no 36
C’est peut-être un signe des temps : tandis que les revues littéraires semblent, en ce qui concerne leur aspect physique, subir une relative baisse de créativité – le dos carré fait presque uniformément recette ; les grosses paginations se multiplient et le caractère institutionnel des maquettes prédomine –, journaux littéraires, tabloïds et autres placards réinvestissent un champ qu’ils avaient abandonné il y a fort longtemps. Mais dix ans après la création du Matricule des anges, et quelques semestres après le lancement d’une nouvelle série des Lettres françaises (encartées chaque dernier mardi du mois dans L’Humanité) et de La Main de singe (nouvelle formule), un nouveau titre fait irruption avec des arguments qu’on peut trouver contondants : Le Nouvel Attila, un organe qui, à l’instar du Matricule des anges à ses débuts, est composé d’une équipe de jeunes journalistes, laquelle ne s’en laisse pas compter. Et n’est-ce pas ce que l’on demande, d’abord, aux journalistes ?
Si l’on en croit l’éditorial inaugural de Benoît Virot, qui incarnait d’abord un « gouvernail » avant d’atteindre le grande de « capitaine » dès la parution du numéro « Hun » (forcément), il s’agit pour cette troupe, qu’on devine enthousiaste, échevelée et mordante, de « Bouleverser le pré carré des feuilles de chou littéraires ». Suivez son regard… Empruntant à Raymond Guérin, l’un des écrivains tutélaires du Nouvel Attila, Virot ajoute : « Nous sommes las d’entendre toujours les mêmes noms, de lire les mêmes couplets extasiés, las enfin de ces bénisseurs qui, comme si on leur avait fait le mot, s’en vont partout nasillonner les mêmes lois à l’intention des mêmes pontifes ou autres enfroqués ! Toujours les mêmes et interchangeables têtes d’affiche ! Toujours Barthes, Echenoz, Semprun et Darrieussecq, Simenon et Bukowski, Ellroy ou Jaccottet ! Quel sempiternel ressassage ! Quel avachissement de l’imagination ! Quel manque d’originalité ! Quel routine ! »
Avec Yann Bernal, Nicolas Bernal, Euphorbe Saxifrage, Mehdi S’Tylh, Rouge-Bibi, Tryphon Campaoré, Bérengère Cournut, Théo Delambre et quelques autres, qui nous pardonneront de ne pas les citer – on remarquera au passage la variété des pseudonymes en usage chez ces nouveaux Ostrogoths –, Le Nouvel Attila est, à l’évidence, une revue de lecteurs. Des lecteurs lassés par l’inanité des conseils autoroutiers auxquels on a droit dès qu’on s’aventure dans les suppléments littéraires en vue, mais aussi dans les magazines à la mode et ceux qui le sont moins, lesquels se permettent de colporter l’air du temps et la « nouveauté » comme s’il s’agissait à tout coup d’un Graal. Du reste, les rédacteurs du Le Nouvel Attila ne s’en prennent pas qu’aux « prescripteurs » qui nous fourguent leurs médecines à dividende : ils dénoncent tout autant le tout-à-l’égout du goût commun, ainsi que l’habitude frileuse de ne se référer qu’aux « valeurs » promues en rappelant l’existence d’œuvres mal considérées (c’est-à-dire mal, ou pas du tout, médiatisées). En somme, ils nous imposent une sorte de petit calcul mental : pour un lecteur de Claude Seignolle (auquel ils tressent de justes lauriers pour sa Nuit des Halles), combien de promos et d’encarts pour Christian Signol ? Autre cas : combien de mètres linéaires consacrés à Simenon en librairie tandis que les très grands Maurice Raphaël ou bien Épinglé comme une pin-up dans un placard de GI de Benacquista restent introuvables ? Voilà, les questions d’économie du livre que se pose avec à-propos Le Nouvel Attila.
Comme nous le dit Benoît Virot, « Enragés de ne pas trouver des auteurs ou des titres quand on les cherche (que ce soit en librairie ou en bibliothèque), nous voudrions conjurer :
– Les lacunes de l’édition ;
– Le prix dissuasif des livres ;
– Les instincts moutonniers et le manque de références à l’histoire littéraire de la critique actuelle ;
– […] le déséquilibre et les injustices des hiérarchies littéraires ;
– L’abus des modes et des commémorations diverses. »
Un sacré programme, qui achoppera sans doute sur la question des instincts et des hiérarchies, mais qui a le mérite d’exposer les motifs de sa colère.
Conséquent, il « lance ses cohortes à l’assaut des bibliothèques pirates, parallèles, invisibles, qui regorgent d’écrivains maudits, mineurs et mésestimés et où en filigrane apparaît tout un univers de contrebande dont nous nous voulons les passeurs acharnés ». Mais il y a aussi des nouveautés délectables, des librairies dont l’étalage mérite un coup de chapeau, une « Liste noire des livres épuisés depuis dix ans », des pages de fiction inédites, et… quelques coups de cimeterres assénés avec le plat – et si le plat ne tue pas, il peut être dur. Georges Sand, l’« un des pires écrivains qui soient », ou Enrique Vila-Matas, dont l’exercice de « vampirisme littéraire », l’« afféterie » et le « narcissisme » ont lassé sont pris comme témoins de la vacuité d’une époque tellement fascinée par le personnage de Bartleby.
Tout à leur « spéléologie littéraire », les jeunes barbares n’en sont pas pour autant agressifs : d’une nature plutôt douce et généreuse, ils rendent grâce à ceux qui leur ont procuré des plaisirs de lecture (Topor, Baronian, Ludwig Hohl, Hardellet, etc.) et, vraiment militants, organisent des lectures, tout en projetant de lancer des rééditions, de monter un ciné-club et un prix littéraire (« revival du prix Nocturne ou du prix du métro Goncourt »), des conférences marchées dans les rues de Paris, et même de vraies-fausses exécutions publiques devant la prison de la santé. Où le Hun se révèle…
On trouve assez de fantaisie dans Le Nouvel Attila pour ne pas s’inquiéter outre mesure de ces symboliques menaces : fantaisie des règles de fonctionnement du journal (« chaque numéro devra contenir une allusion, même voilée, à l’œuvre du général de Gaulle » ; « La première attaque contre l’univers de l’édition apparaîtra toujours aux alentours de la page 13 »), fantaisie des mémoires apocryphes de Michel Polac, fantaisie du choix des sujets à traiter de l’actualité éditoriale, fantaisie de la maquette (dûe à Lol V. Stein [sic]), etc. Et, là-dessus, un collage de la tête de Chloé Delaume sur un corps de pin-up avec cette légende : « Chloé Delaume dans Attila ? Certainement pas. »
On aura compris que Le Nouvel Attila a développé une appétence marquée pour la production des maisons d’édition en devenir, autonomes ou marginales et, parallèlement, un refus tout net des truismes de notre époque. De bon aloi, Les Huns nouveaux sont bien des refuzniks, de ceux qui ont préfèrent dire non plutôt que de concourir au Grand N’importe Quoi. Alors, s’il faut émettre un avis à leur destination, celui-ci coule de source : ne changez rien, ni la ligne, ni l’entrain, et que les bibliothèques repoussent.