par Annie Chevrefils Desbiolles
1998, in La Revue des revues no 25
Le mot art au singulier donne toute sa dimension au projet de la revue d’unir dans un même propos l’ensemble des pratiques artistiques. Poésie, architecture, théâtre, danse, musique, cinéma, arts plastiques… s’interpénètrent afin de plonger le lecteur dans ce qui serait une matière première de l’art : l’image, le son et l’écrit, ou même plus fondamentalement l’espace et le temps. Les jeux graphiques de la revue associant photographies en noir et blanc, aplats colorés pastel, textes en filigranes, mettent en page avec une sobre densité cette matière transdisciplinaire.
L’organisation singulière de cette matière vivante relève d’un projet artistique spécifique que chaque article, toujours signé par un artiste, expose. Pas de commentaire ou de discours « sur » ; il s’agit de rendre compte d’une démarche qui fait fi du particularisme des disciplines. La jeune « plasticienne » Valérie Mréjen travaille avec les mots comme on pourrait le dire des couleurs et nous en présente une illustration commentée. Ce commentaire révèle la modestie volontaire du propos ainsi introduit : « m’ennuyais ferme. Plutôt que de compter des grains de sable sur la plage […], je me dis que je pourrais lire l’annuaire […]. J’y relevai tous les noms communs (Table, Chaise, Escalier, Robinet, etc.) et fus étonnée de trouver Monsieur Georges Berrec, Messieurs Raymond Roussel et Madame Marcelle Prout. » De son côté, Roman Opalka, qui depuis 1960 « manifeste le temps », se fait le journaliste d’une œuvre marquée par la quotidienneté. Là encore le texte de l’artiste rejoint l’œuvre et participe de son travail.
Quand ils sont clairs, fluides et plein d’humour, ces propos d’artistes stimulent, mais le sérieux pour ne pas dire le prétentieux d’autres textes nuit, fabriquant du « style » avec ce qui n’est en fait que le projet de toute pratique artistique : dire l’art à la première personne du singulier. Il manque donc, parfois, juste un peu plus de légèreté !