par Éric Dussert
2006, in La Revue des revues no 38
Le Tube opOEtique
No 1, octobre 2005
Adresse : Association Boiod.Lioil,
266, boulevard Voltaire, F-75011 Paris
Prix : 15,50 e
Abonnement (2 numéros) : 32 €
Livré dans un tube de carton, le justement nommé Tube opOEtique est, si l’on en croit son feuillet de présentation, un laboratoire d’expériences poétiques. L’innovation ne se limite cependant pas au langage puisque l’un des enjeux de ce tube-là est d’offrir, à première vue, une forme nouvelle à la revue. En l’occurrence celle du dazibao, ou plutôt d’une série de dazibao roulés et, surtout, pluriels.
Composé d’une série d’affiches de tailles variées, le « sommaire » propose 5 feuilles photocopiées au format A4 portant des textes de Louise Boivent et Audrey & Sonia Jeuland ; 2 feuilles photocopiées au format 29,7/42 cm livrées à des textes de Charles Pennequin et Liliane Giraudon, un petit autocollant blanc arborant un cercle noir et la marque d’édition (lioil.org), un rouleau photocopié de 10 cm sur 1 m 20 donnant un fragment de « L’Homme sans ventre » d’Arno Six et, enfin, de 5 affiches d’Antoine Dufeu, Vaninna Maestri, Stéphanie Quillon, Charles Pennequin et Jean-Jacques Viton, qui ont disposé d’une belle surface (60/80 cm) et de la quadrichromie (optionnelle) pour y jouer des mots, des formes et des couleurs. Avec cette perspective de devoir attendre la parution de la troisième livraison du Tube pour constater l’aboutissement de leur œuvre dans son intégralité (soit 1,4 m2). C’est en effet le principe : chaque collaborateur « grand format » – on aurait tendance à écrire intervenant – conçoit son projet en trois affiches indépendantes. Curieusement, les résultats très graphiques sont marqués par la géopolitique : Antoine Dufeu propose des drapeaux tels qu’on en découvrait autrefois sur les pages de garde des dictionnaires, tandis que Stéphanie Quillon offre la silhouette de tous les pays de la planète en noir sur fond blanc. Seul utilisateur de couleurs en liberté, Charles Pennequin livre « Les Po », de la série des Poèmes délabrés, une œuvre dont les mots se sont évanouis.
Quoi qu’il en soit, Le Tube opOEtique est manifestement la production d’un collectif d’artistes plus qu’une revue de poésie, aussi avant-gardiste soit-elle. Rien de traditionnel donc dans cet emboîtage, qui évoque irrésistiblement la « Boîte alerte » concoctée par les surréalistes à l’occasion de l’exposition E.R.O.S. (Exposition internationale du surréalisme, 1959) de la galerie Daniel Cordier : dans une boîte en carton verte en forme de boîte aux lettres, conçue par Marcel Duchamp et réalisée par Mimi Parent, la crème du groupe avait glissé une préface, un télégramme, neuf enveloppes renfermant des « missives lascives », c’est-à-dire textes, plaquettes ou objets, ainsi qu’un disque 45 tours, quatre lithographies, six cartes postales en couleurs et une eau-forte numérotée. La similitude s’arrête sans doute à l’accumulation collective, la Boîte alerte, missives lascives n’ayant jamais été qu’un coup unique.
Mais si les acquéreurs de cette dernière avaient besoin d’un tourne-disque pour profiter de leur emplette, les lecteurs du Tube opOEtique n’auront pas trop de leurs deux bras : on sait à quel point peuvent être irritants des documents qui, enfermés dans un tube, sont régis par des fibres, lesquelles répondent au principe de la mémoire de forme. Récalcitrants, ils ne s’offriront qu’à ceux qui auront eu la clairvoyance de s’équiper au préalable de briques, de bouquins, de règles ou de tout objet lourd permettant de plaquer la feuille sur une surface plane. Évidemment, cela ressort aussi d’une gymnastique de l’esprit, mais cela démontre une fois encore que la vieille technologie du volumen, fût-il en feuilles, tout comme celle de la fourchette par exemple, offre un niveau indépassable d’adaptation à son usage. Les promoteurs de l’e-book avaient négligé cet aspect des choses et s’en sont mordu les doigts. Reste, évidemment, que les animateurs du Tube opOEtique tentent autre chose et l’on ne s’étonnera guère de trouver parmi ces « poètes optiques » Liliane Giraudon et Jean-Jacques Viton, impénitents revuistes depuis des lustres – ils signent, pour l’une « Ma Sappho », un poème, et pour l’autre une affiche typographique promotionnant de la lecture. Et les lecteurs d’attendre les livraisons à venir pour découvrir enfin les œuvres en instance. Le suspens comme vecteur, l’impatience comme moteur.