par Georges Sebbag
2001, in La Revue des revues no 30
Cette nouvelle revue littéraire, belle présentation, beau papier, grandes marges, caractères fort lisibles, nous vient du Limousin. Mais ne nous y trompons pas, L’Indicible frontière ne signale pas la ligne de démarcation séparant États ou régions, elle suggère plutôt le tracé problématique, dans le cru même de la poésie, de chemin rudes en pointillés. Les deux animateurs de la revue, Marie-Noëlle Agniau et Laurent Bourdelas, ont fait le pari de faire résonner les voix de plusieurs poètes connus ou moins connus dont les moyens, les scansions et la langue sont pourtant très divers (Marie-Noëlle Agniau, Pascale Calla, Gérard Frugier, Michel Gabet, Alain Lacouchie, Bernard Noël, Joseph Roufflanche, Jean-Pierre Thuillat). Mais c’est surtout sous le thème « Prendre langue », que la revue, à travers les contributions conjuguées de Laurent Bourdelas, Jean-Paul Chavent et Patrick Mialon, affiche résolument sa volonté de nouveauté un tantinet provocatrice. La langue des poètes ne désespère pas du stade oral et du stade anal :
« Il l’achève, et la lèche, et l’épargne »
(L. Bourdelas)
« Elle est dans ma bouche /et dans ton sexe / l’énigme où nous baignons »
(J.-P. Chavent)
« La langueur est la langue de la rivière. »
(P. Mialon)
Pour saluer ce morceau de bravoure, souvenons-nous que Jean-Pierre Brisset, pour qui l’homme descend de la grenouille, postulait une unité des langues, une indicible frontière, entre le français et l’allemand par exemple. Il avait naturellement son mot à dire sur l’expression prendre langue, qui a d’ailleurs été prise à la lettre sur la vignette de couverture de L’Indicible frontière : « Demande se dit Verlange. Pour bien indiquer qu’on demande, quoi de plus expressif que de faire langue, ou allonger la langue sur les lèvres ? On sait que le dieu allemand ou le Gott a vécu en France où le baisait la bigotte. »