par Marie-Paule Chardon
1999, in La Revue des revues no 27
Logos ? Ananké, qualifiée par ses fondateurs de revue de psychanalyse et de psychologie, est une publication d’« espace analytique », une association d’obédience lacanienne. Cette revue était dirigée par Joël Dor décédé il y a quelques mois.
Logos et Ananké, dieux jumeaux de l’Antiquité, sont les figures mythologiques auxquelles s’affilie cette revue. Ce couple divin était une référence essentielle pour Freud : sa manière de penser et d’inventer la psychanalyse s’est, en effet, toujours manifestée sous une forme dualiste et les modèles auxquels il a donné naissance sont issus de ce principe gemellaire : principe de plaisir / principe de réalité, pulsion de vie/pulsion de mort…
« J’ai deux dieux : Logos et Ananké ; […] l’inflexible raison, le destin nécessaire (1). » Ainsi s’ouvre le prologue de Joël Dor. Ce n’est pas directement à la mythologie antique mais plutôt à une version de l’écrivain hollandais Multatuli à laquelle Freud et après lui les fondateurs de cette revue se réfèrent.
Logos, raison, pensée, discours ; Ananké, destin nécessaire, force des choses, réalité extérieure. « Quand se notifie l’ordre tyrannique de l’Ananké, il n’y a qu’une réponse : Logos ! » écrit Paul Laurent Assoun dans son ouvrage traitant de l’entendement freudien. « Il y a chez Freud la résolution d’étreindre ce morceau de réalité qu’il lui est commandé de penser, soit, ce qui, dans le sujet, a affaire au désir et à son langage inconscient (2). » Point radicalement nouveau de l’approche freudienne de l’inconscient : il y a un logos du désir qui permet d’en tirer un savoir. Et le désir est confronté à la nécessité au sens où le sujet est confronté à ce qui fait radicalement limite, la réalité même. L’inconscient du désir travaille dans le Logos et l’Ananké : ce qui permet à J. Dor de soutenir « l’existence d’un texte unique dont le récit clinique et la conceptualisation métapsychologique constitueraient les deux versions ». Le psychanalyste est ainsi, « par définition freudienne », à la fois clinicien et théoricien. Ce principe est au fondement même de la revue. Il n’est donc pas surprenant de trouver au sein du dossier thématique de ce premier numéro « La différence sexuelle » un certain nombre d’articles issus d’interventions faites lors d’un congrès sur « Psychanalyse et figures de la modernité ».
La revue a explicitement le projet de réinterroger les concepts face à une clinique dont les expressions, les figures se sont modifiées. Ainsi, après avoir rappelé combien la psychanalyse a radicalement modifié notre compréhension des pratiques sexuelles dites déviantes, Joël Dor appelle à revisiter la pertinence de concepts tels que, par exemple, la bisexualité psychique ou l’identité sexuelle. Cette incitation au travail est faite à partir d’une clinique des néosexualités (à laquelle répond Joyce Mc Dougall) ou du transsexualisme (voir la contribution d’H. Frignet). André Green s’interroge sur une reformulation d’une théorie du sexuel ; Michel Tort questionne la fonction paternelle identifiée par la psychanalyse « au ressort psychique de la loi qui assure l’institution du sujet ».
Précédant les comptes rendus d’ouvrages qui conclut la revue, on lira avec plaisir deux inédits de Maud Mannoni qui témoignent, sous des éclairages différents, du trajet de la fondatrice de Bonneuil.
Si toutes les thématiques et auteurs de ce numéro n’ont pu être nommés ici, on a tenté de montrer combien cette nouvelle revue tenait ses promesses en matière d’ouverture et de débat, de remise en question et de réélaboration.
(1) S. Freud, « Entretien avec Charles Baudoin », in Charles Baudoin, Y a-t-il une science de l’âme ?, Fayard, 1957, p. 50.
(2) P. L. Assoun, L’Entendement freudien Logos et Ananké, Paris, Gallimard, 1984, p. 15.