par Francesca Caiazzo
2016, in La Revue des revues no 55
Qui ne dit mot consent, une fleur dans le béton
On se retrouve face à une couverture noire, dense et compacte, où s’érige une seule lettre de l’alphabet (Q), blanche. La police de cette lettre change au fil des numéros, et anticipe la police des titres des contributions, ce qui nous fait voyager d’emblée dans les formes, dans les courbes et dans les contours des mots.
Qui ne dit mot consent, revue conçue par des architectes, ne cesse de déborder. Les images d’objets, les photographies des lieux, les portraits d’individus nous projettent dans un espace autre, qu’une définition lapidaire « d’architectures, pour architectes » supporterait assez mal.
Cette jeune revue qui compte trois numéros à son actif, est née, en mars 2013, de l’envie « classique » d’un groupe d’anciens étudiants de l’ENSAL (École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon) de produire un contenu autour d’un thème défini à l’avance. Il ne s’agit pas de la revue d’une école, mais du fruit d’une réunion de sensibilités et de questionnements.
Les trois thèmes abordés jusqu’ici, héritage, artisanat et fantasme, ne sont pas que des contenants figés, mais témoignent d’une nécessité de bâtir et de tracer un parcours cohérent, dont le fil rouge apparaît distinctement au fur et à mesure des lectures : celui d’une conscience spatio-temporelle. Le premier numéro, en abordant la notion d’héritage, a songé à ancrer la revue dans un temps défini, les yeux tournés vers le passé, afin de bâtir un futur plus conscient où on peut analyser, par le biais de l’architecture, les tendances, les inclinations, les mentalités qui se cachent derrière les bâtiments et les structures du vingtième siècle. Parmi les collaborations, Charlène Azé et Pierre Dumas nous présentent, en images et en paroles, la rotonde ferroviaire de Grigny, dans la métropole de Lyon, et Antoine-Frédéric Nunes questionne Luigi Snozzi, architecte suisse affirmant la valeur de la terre face au monde politique d’une société « déboussolée ». Le thème de l’artisanat semble être la suite logique de la quête d’un patrimoine, en convoquant le besoin d’un retour à la matière brute et pure, le mariage entre l’immobilité des traditions passées et le dynamisme pour l’avenir que cette notion d’artisanat appelle de nos jours, mais aussi l’histoire entre l’homme et les matériaux. Dans ce numéro se démarque le récit d’Hélène Thébault, où l’Inde de la pause-thé se heurte à la production massive des chaises plastiques, et dans lequel est présenté le travail d’une fondation œuvrant pour la préservation et la transmission des savoirs hérités de l’artisanat. Le fantasme – qui est évoqué dans l’éditorial du troisième numéro à travers l’image biblique de la tour de Babel – émerge à la fois comme la construction du désir et du regard critique de l’architecte. Olympe Rabaté nous livre ici une réflexion sur le paysage en tant qu’espace d’expérimentation au sein des aménagements contemporains, tandis qu’on se perd dans les formes transformées des bâtiments dans les photographies de Victor Enrich, magnifiques manipulations intellectuelles.
La multitude des voix (architectes, photographes, artistes), des formes (papiers qui s’envolent, grande variété des polices) et des langues (nous parcourons des lieux à l’étranger, nous lisons aussi en anglais) s’allie ainsi à l’élégance, à la fois simple et majestueuse, d’un noir et blanc qui enveloppe QNDMC dans une dimension de voyage mélancolique, là où c’est au lecteur d’imaginer les couleurs. Trois numéros prometteurs dont l’évolution graphique est à apprécier (le format des deux premiers, 210 x 297 mm, est réduit à 189 x 245 mm, plus maniable) qui présentent savamment, sous le prisme de l’architecture, une vision du monde en évolution très problématisée.