par Stéphane Marbeau
2014, in La Revue des revues no 52
Le deuxième numéro de la revue Opium philosophie paraît en avril 2014, tenant là la promesse lancée au terme de son premier numéro, paru en avril 2013, de poursuivre l’aventure. Cette aventure, celle de l’édition d’une revue philosophique étudiante, n’est d’ailleurs qu’un des champs ouverts par l’association du même nom, qui organise également des « cafés-philo », des ateliers en prison et alimente une radio et un site internet consacrés à la philosophie. Pour une association qui explore ainsi différents médiums, le lancement d’une revue papier recèle des difficultés spécifiques. La première d’entre elles est celle de la forme de l’objet, résolue avec brio à l’aide d’un studio graphique professionnel : les deux numéros parus à ce jour sont de très belle facture, richement illustrés et très agréablement mis en page. La deuxième difficulté est celle de la cohérence et de la pérennité du contenu, sur laquelle on va plus longuement s’attarder. Le caractère estudiantin de l’entreprise est en effet central : aussi bien dans le manifeste qui ouvre chacun des deux numéros que dans le style et l’organisation des articles, se fait sentir une même volonté, celle de « rendre légitime la parole philosophique étudiante », et ce y compris, et surtout, en sortant du cloisonnement des disciplines et en s’affranchissant des rigidités académiques. La revue se veut un espace d’expérimentation et de dialogue, dans lequel l’effervescence intellectuelle des étudiants en humanités trouve à se rendre féconde.
Ce souci se lit dès le sommaire, partagé en quatre grandes sections d’inégales longueurs. Chaque numéro s’ouvre ainsi sur une confrontation avec « l’air du temps » : on y trouve des articles portant, parfois de manière contradictoire, sur l’actualité politique et culturelle, signés chacun par des étudiants. Suit alors le cœur du numéro : les contributions portant sur le thème – respectivement « Les sens du voyage » et « Se nourrir au xxie siècle » pour les premier et deuxième numéros. Celles-ci se distinguent par la diversité de leur style, de leur longueur et de leur propos. Alternent ainsi des articles qui vont du témoignage personnel à l’enquête journalistique en passant par des réflexions plus proprement conceptuelles, le tout servi par un graphisme impeccable et entrecoupé de pages accordées à des jeunes artistes, dessinateurs, peintres et poètes. Certains articles sont même proposés en langue originale avec leur traduction française en regard, illustrant par là la diversité d’horizon des contributeurs. Cette diversité pourrait tourner au fourre-tout si elle n’était pas tenue par la cohérence d’un thème commun et surtout par un enthousiasme manifeste pour l’espace de liberté qu’offre ainsi la revue à ses contributeurs. Le troisième temps de la revue est consacré à la « philosophie insolite », et présente de manière décalée mais sérieuse des thèmes fondamentaux de la philosophie classique, parfois sous des angles inattendus (« Les derniers jours de », consacré à la mort d’un philosophe ; « Les ratés de », consacré aux pages les moins glorieuses de certains auteurs classiques, par exemple). Le quatrième et dernier temps revient à l’actualité de l’association, qui y présente le bilan des événements et des ateliers qu’elle organise.
On voit donc que par delà la diversité, forcément inégale, des contributions, la revue a su se doter d’une structure éditoriale assez forte pour encadrer l’enthousiasme et la liberté de ton de ses auteurs. Le projet, dans un temps où la morosité intellectuelle règne et où la précarité économique décourage les plus audacieuses entreprises, est donc à saluer. Et seuls les prochains numéros pourront dire si la revue atteindra à la hauteur du mot d’ordre de Walter Benjamin, sous l’enseigne duquel elle se place, qui veut que « par voie de connaissance, chacun libère l’avenir de ce qui aujourd’hui le défigure ».