par Yves Chevrefils Desbiolles
1995, in La Revue des revues no 19
« Le Christ, Pierre d’angle, est celui qui nous donne de découvrit le passé, le présent et l’avenir de l’homme, dans la lumière de cette rencontre de la grâce et de la liberté. » Ceci étant dit, il faut se rappeller que les dominicains ont une réputation d’empêcheurs de penser en rond que cette nouvelle revue, qui en compte deux dans le triumvirat placé à sa tête, ne trahit pas. Au côté de ces deux dominicains – Guy Bedouelle, doyen de la faculté de Fribourg, et Romanus Cessario, professeur à la faculté de théologie à Washington DC – le troisième meneur de jeu de Pierre d’angle est un professeur de dogmatique, Daniel Bourgeois, de la Fraternité des moines apostoliques d’Aix-en-Provence.
Chose rare pour une revue de périodicité annuelle, le sommaire ne s’apparente pas à une compilation, mais laisse supposer un véritable projet éditorial qu’il est cependant difficile de cerner avec exactitude. Une douzaine de contributions (essais, articles, entretiens, poèmes, comptes rendus) sont réparties dans des sections sans titre séparées par un espace blanc au lecteur d’apprécier ce qui relie ces contributions les unes aux autres (histoire religieuse, problèmes de société, vie culturelle…), toutes ayant cependant comme dénominateur commun un solide ancrage dans la vie contemporaine.
Le premier rabat de la couverture donne par ordre alphabétique le nom et la fonction de chacun des auteurs. Ici, perplexité et circonspection dominent. Citons pour l’exemple le premier et le dernier nom de cette liste : Carl A. Anderson, doyen de l’Institut Jean-Paul II de Washington DC et ancien conseiller du président Reagan pour les affaires religieuses, qui réclame au nom du « droit de l’enfant à une famille » des modifications législatives tendant à restreindre le droit au divorce… Inacceptable ! Wim Wenders qui nous parle dans un entretien très bien mené de ses films, du cinéaste italien Antonioni, des nouvelles technologies appliquées au cinéma… Passionnant ! Le grand écart semble d’ailleurs une règle éditoriale.
Parmi les autres auteurs, il y a encore un conseiller d’État ancien directeur de cabinet dans un gouvernement de gauche qui examine la laïcité d’hier et de demain, un ancien ministre des Affaires étrangères dans un gouvernement de droite qui réfléchit sur l’après-communisme, un économiste qui veut combattre la pauvreté par l’instauration d’une allocation universelle, un étudiant américain, un poète tessinois…
Deux articles intéressent ou étonnent par leur méthode et par leur conclusion. Le premier est en fait un essai consacré aux « Voûtes, coupoles et colonnades » des lieux de culte chrétien. Inspiré par les travaux de l’historien d’art Georges Didi-Huberman et du médiéviste Paul Zumthor récemment décédé à Montréal (les derniers travaux de Zumthor sont examinés à la fin de Pierre d’angle), l’auteur, Daniel Bourgeois, salue au passage les pères Régamey et Couturier qui ont tant lutté dans leur revue L’Art sacré pour le renouvellement de la pensée chrétienne en matière d’art contemporain (voir le compte rendu d’un ouvrage consacré à L’Art sacré dans le no 17 de La Revue des revues, 1994). L’auteur conclut en mettant en parallèle l’indigence de l’architecture chrétienne contemporaine (du moins en Occident) avec « la pauvreté de l’imaginaire théologique de cette fin de siècle ».
Le second article se livre à une analyse comparée des théories dramatiques d’Antonin Artaud et de Karol Wojtyla, écrivain polonais qui sera mieux connu plus tard sous le nom de Jean Paul II. L’auteur, Peter J. Cameron, dominicain américain lui-même dramaturge, met en parallèle le Théâtre de la Cruauté d’Artaud et le Théâtre de la Parole de Wojtyla, certes pour en indiquer les différences – le premier « a pour but la libération de noires potentialités et de sombres puissances », le second « se réalise dans la recherche des biens et des valeurs naturelles » -, mais surtout pour insister sur la place centrale que les deux théories accordent à la personne humaine.
Agacement, passion, intérêt scientifique, surprise méthodologique… Pierre d’angle, dont il faut saluer la belle tenue graphique, suscite débats et controverses, adhésion ou rejet. N’est-ce pas tout ce qu’on attend d’une bonne revue?