par Armelle Enders
1998, in La Revue des revues no 25
La naissance de Sigila, « revue transdisciplinaire franco-portugaise sur le secret » a de quoi intriguer et invite à élucider les intentions de ses éditeurs. Ces derniers peuvent évidemment arguer d’un faux-fuyant rhétorique et se retrancher derrière les airs de mystère que suppose un tel objet. Dans ce numéro figure d’ailleurs un intéressant article de Guéty Val, présenté comme cryptologue, c’est-à-dire un spécialiste du chiffre, qui « en tant que tel, désire rester dans l’ombre » (p. 91). Cet aspect ludique mis à part, les sciences humaines et sociales, qui sont invitées à se joindre à l’aventure, n’aiment guère les ténèbres et ont pour vocation de chercher à les dissiper.
L’ensemble des contributions inscrites au sommaire de cette première livraison consacrée à « dire le secret-o segredo dito » se lisent avec beaucoup d’intérêt et de plaisir. On y trouve notamment une comparaison de l’expression du secret dans les expressions idiomatiques françaises et portugaises (Florence Lévi), des études sur la poésie médiévale ou Henry James.
Ce sont les ambitions affichées de la revue qui laissent un peu perplexe. Le comité de parrainage est le plus prestigieux qui soit, mais la présentation liminaire, contenue dans trois textes dus respectivement à la rédaction (?), Helena Barroso et Pierre Rivas, est loin de lever le voile sur le sens et la portée de Sigila. Plus que d’un programme d’exploration autour du secret, elle semble être née d’un constat, celui de « l’ampleur du secret dans des domaines aussi variés que la littérature, l’histoire, l’anthropologie, le droit, la philosophie, la psychanalyse et l’art ou la physique, la biologie, la génétique, etc. » (p. 8). On aurait aimé apprendre dans ce premier numéro ce que signifie le secret pour des disciplines aussi différentes et en quoi le secret peut constituer une passerelle entre elles.
En d’autres termes, ce premier numéro fait redouter que cette revue, qui rassemble des chercheurs (principalement des littéraires et des linguistes spécialistes de la langue portugaise) travaillant sur la figure du secret et a toute raison d’exister, ne perde son âme en promettant plus qu’elle ne peut tenir. Sans un effort plus grand d’articulation des contributions autour du thème abordé, il est à craindre que la pluridisciplinarité souhaitée ne recouvre qu’une simple juxtaposition d’articles et d’œuvres sans lien les uns avec les autres, formule qui peut aussi constituer une voie poétique et stimulante pour Sigila.