par Marc Bauland
1999, in La Revue des revues no 27
No 1, hiver 1998-1999
Sirocco s’ouvre sur ce constat : « Au cœur des glorieux lambeaux qui composent notre existence se trouve l’ennui. » Cette jeune revue – qui se reconnaît volontiers comme une organe « des plus confidentiels » -, se pose contre le productivisme, le confort intellectuel et l’hégémonie mondaine, le « dynamisme factice de notre époque superficielle », pour élever le dilettantisme au rang de ligne éditoriale. Sirocco est « le journal idéal à lire après une promenade à bicyclette, avec les amis ou bien tout seul dans la brume légère » [sic].
Ni spécialisée, ni scientifique, ni engagée, Sirocco revendique donc le statut de revue amateur, qui favorise probablement une liberté de parole et des articles apparemment « décalés ». À cet effet, chaque numéro offre aux lecteurs une panoplie de chroniques et de billets d’humeur (« Vie quotidienne », par Maxime Cerise, « Notre Dame de Lorette », par Anne Princen etc.), de critiques, et d’inventions (littéraires) dans la plus pure tradition potache : deux romans à épisodes, Le Quartier des ambassades, par Vincent Noiray, et La Salade au rutabaga, par Rudy de Menthéour, viennent clore chaque volume. Le sommaire, concède la rédaction, n’est organisé autour d’unités thématiques que pour répondre à « l’impératif de la ligne éditoriale » : la péninsule ibérique est parcourue dans le premier numéro, notamment à travers le prisme du mouvement postmoderne de la nueva narrativita, et les portraits de Juan Marsé (auteur de Teresa l’après-midi) et de Javier Marías (L’Homme sentimental, Demain la bataille), mais aussi un « petit guide d’initiation à la pop espagnole ».
Le second numéro, plus étoffé, est consacré à l’amateurisme dans toutes ses formes d’expression : « Cultiver l’indécision, pratiquer le décalage systématique […], voilà ce qui peut constituer aujourd’hui une forme de résistance face à une société qui cherche absolument à orienter les individus, à les cloîtrer pour mieux les contrôler ». Une interview des auteurs de B. D. Dupuy et Berbérian précède un essai comparatif sur Antoine Doinel (des Quatre cents coups à Domicile conjugal), figure emblématique de l’amateur cultivant malgré lui l’art de n’être jamais à sa place, aux côtés des personnages de Nanni Moretti (Michele Apicella sur sa vespa dans Aprile) et de Bruno Podalydès.
L’actualité des idées est également passée en revue, avec un retour sur le Décembre des intellectuels, l’affaire Sokal, ainsi qu’une analyse de La Peau et les os de Georges Hyvernaud (1947) par Mathias Roux (« Une parodie de parodie, la société du spectacle selon Georges Hyvernaud »).
Distribué dans un circuit choisi, Sirocco se prend à rêver, depuis son promontoire de diffusion sur internet (www.citeweb.net/sirocco/), d’une « Cour des miracles » qui donnerait écho au tumulte de la critique et de la création.