par Éric Dussert
2000, in La Revue des revues no 28
Créée par Christian Le Mellec au pays de René Char et de Maurice Roche, Sorgue est l’émanation des éditions Le Bois d’Orion. Malgré une rupture de sa ligne graphique habituelle – ici une couverture blanc cassé frappée d’un grand monogramme gris tandis que les ouvrages portent une robe safran, on en reconnaît l’élégance. À quelques signes discrets, le logo rouge et la typographie des noms d’auteurs, on reconnaît la patte d’une maison qui se signale par sa sobre rigueur : format agréable, maquette aérée, classique sans doute mais élégante, le tout d’une souplesse confortable qui flatte la main.
Il émane de cette première livraison une impression de cohérence. Sorgue pourrait bien avoir trouvé son équilibre, une sorte de tranquille évidence. Il est vrai que ses ambitions sont restreintes. Le programme énoncé par Christian Le Mellec est sans emphase. Il y met ce qui concourt à la naissance des revue de race, souvent humbles et incertaines de leurs talents mais dont on sent qu’elles œuvrent pour de bon. « Nous avons souhaité, écrit-il en préambule, que soient rassemblés quelques témoignages, et évoquées certaines figures de poètes d’aujourd’hui ou du passé, d’ici ou de contrées lointaines, qui nous paraissent remarquables. »
Sorgue est en somme une fabrique de sens hors-les-livres où l’éditeur prolonge son travail en compagnie d’auteurs choisis. Son équipe rédactionnelle est mixte, moitié auteurs du Bois d’Orion (Martin Melkonian, Samuel Astrachan, ou A. Ughetto), moitié essayistes et poètes invités (Ève Duperray, René Pons, Roger Munier, Dominique Sorrente, etc.). On peut noter pour l’anecdote que Sorgue n’est pas chauvine puisqu’elle s’ouvre à la concurrence en les personnes de trois directeurs de revue, Christophe Carraud (Conférence), Pierre Dubrunquez (Poésie 2000) et Patrick Krémer (Courant d’ombres).
Le « retrait dans la création poétique » est le thème qui charpente le numéro. C’est une question majeure de la poésie contemporaine mais ce choix représente un curieux paradoxe pour une revue qui prétend apparaître. Le sujet appelle un fin connaisseur tel que Philippe Jaccottet, le poète de Paysages avec figures absentes. C’est autour de lui que s’articule le sommaire, rejoint par Pétrarque et les poètes chinois de l’époque troublée des Ts’in. Parmi ces derniers, Ch’an Feng k’an vaut une pause. « Habitant les montagnes/ nul ne me connaît/ dans les nuages blancs/ tout le temps silencieux, silencieux ». L’espace de Sorgue est quant à lui bruissant de mots et de pensées. Les interventions critiques de Claire Malroux, Judith Chavanne, André Ughetto ou Ève Duperray apportent à l’édifice des assises savantes sans le déparer. Il faut leur être gré de signer des textes d’une parfaite accessibilité et souhaiter que Sorgue, « lieu de nudité et de surabondance », continue d’irriguer les champs du savoir et de la poésie pour parier, enfin, que ses prochaines livraisons seront illustrées avec autant de grâce et de talent.