par Françoise Dufournet
1994, in La Revue des revues no 18
Associée aux Éditions Circé (Strasbourg) depuis 1993, la Villa Gillet publie à l’automne 1994 son premier Cahier.
L’unité de Recherches Contemporaines de la Villa Gillet est un centre d’analyse et de diffusion de la pensée et des arts contemporains. Elle a pour vocation d’ouvrir des perspectives transdisciplinaires sur les cultures contemporaines : littérature, philosophie, sciences humaines, arts visuels, arts vivants, musique… Elle organise, depuis 1988 à Lyon et dans la région Rhône-Alpes, des colloques, des conférences, qui réunissent philosophes, chercheurs, écrivains, artistes, venant de France et d’Europe ; ainsi que toutes sortes de manifestations publiques : séminaires, expositions, lectures, rencontres, débats…
Les Cahiers offrent l’exact reflet de ces multiples activités puisqu’on y retrouve les textes des séminaires tenus (plus quelques articles inédits), les uns traitant de grandes questions critiques, les autres consacrés à la création contemporaine.
Ainsi, le premier numéro rend-il compte, dans sa première partie, d’un séminaire sur la lecture qui, d’octobre 1993 à avril 1994, a rassemblé un grand nombre de chercheurs et d’écrivains sur ce thème, dont Roger Chartier, Elisabetta Rasy, Jacqueline Rousseau-Dujardin, Florence Delay, Jean-Christophe Bailly, Antonio Lobo Antunes, François Genuyt…
Le très beau texte d’ouverture de Pierre Péju, « La maladie de la lecture », raconte avec beaucoup de finesse et de sensibilité les origines de ce désir irrépressible éveillé dès l’enfance dans l’immense bibliothèque familiale, où la lecture devient, à l’insu de tous, activité permise autant que défendue, tolérée mais coupable, dont le plaisir s’augmente du secret qui l’entoure. Désir de lire, bientôt suivi du désir d’écrire. Sous le double signe de Marcel Proust et de Roland Barthes, les textes rassemblés ici reprennent en écho les thèmes du temps, de la mémoire, du plaisir, de l’affrontement réalité-imaginaire, et aussi du « récit d’enfance » fondateur (J. Rousseau- Dujardin).
Elisabetta Rasy s’interroge sur les liens mystérieux et « sacrés » (cf. Mircea Eliade) qui unissent lecture/écriture, à partir de la question : « Que lisons-nous quand nous lisons? », renvoyant à une expérience fondamentale de l’Être. Interrogation reprise par Pierre Levy qui, lui, s’en va explorer du côté de la « surlangue », et de « l’hyper-texte » : l’acte de la lecture « à partir d’une linéarité, ou d’une platitude initiale », se révèle comme « acte de déchirer, de froisser, de tordre, de recoudre le texte pour ouvrir un milieu vivant où puisse se déployer le sens. L’espace du sens ne préexiste pas à la lecture. C’est en le parcourant, en le cartographiant, que nous le fabriquons ».
Quant au Séminaire européen de poésie (1994), organisé à l’initiative du Goethe Institut, de l’Institut culturel italien, des Consulats suisse, portugais, espagnol, du British Council…, il a réuni de nombreux intervenants, parmi lesquels Yves Bonnefoy, José Angel Valente (« Quatre points de référence pour une esthétique contemporaine »), Jean-Marie Gleize (« Bords de fleuve »), Jean-Michel Maulpoix ( De l’illusion lyrique »)… Seul, David Constantine, enseignant et poète à la fois, donne une parole didactique dans son texte : « Fondements pour la poésie ». De quoi réfléchir concrètement, avec clarté, sur l’activité poétique trop souvent dénaturée, à ses yeux, par les poètes eux-mêmes…
Mais indépendamment de la qualité, réelle, du contenu, peut-on parler de « revue » dans ce cas présent ? Un rassemblement de textes déjà produits, si bons soient-ils, suffit-il à tisser un réseau vivant d’échanges, à créer une dynamique interne pour une équipe capable de susciter des textes, plutôt que de les consigner ? Nous touchons ici la limite du genre.