Il aura fallu attendre tout juste un siècle pour que la mythique revue de Fernando Pessoa et de ses acolytes Mário de Sá-Carneiro et José de Almada Negreiros soit traduite et publiée en intégralité en français, par Patrick Quillier. Ypsilon éditeur a eu la pertinence et l’audace de reproduire les deux uniques numéros d’Orpheu, et les fragments du troisième, sous une forme fac-similé. La typographie, la mise en page, les illustrations, tout ce qui a fait la singularité de la revue portugaise a été scrupuleusement repris pour permettre aux lecteurs français de tenir dans leurs mains non pas un livre mais un véritable document d’archives.
Ainsi, feuilletant les pages de cette revue ressuscitée, le lecteur se trouve plongé dans une époque où Lisbonne, comme toutes les grandes métropoles européennes, entrait dans la modernité. Une modernité chantée par les poètes de la revue, tels Alvaro de Campos, alias Fernando Pessoa. « Pouvoir s’avancer dans la vie triomphant comme une automobile dernier cri ! » (…) « Blindages, canons, mitrailleuses, sous-marins, aéroplanes ! je vous aime tous en bloc, comme un fauve » (Ode triomphale).
La création poétique est l’objet central d’Orpheu, une création avant-gardiste, en rupture avec la monotonie et le conservatisme alors régnant au Portugal, qui fit condamner les auteurs de d’Orpheu. Ainsi, le 4 avril 1915, Fernando Pessoa écrivait à Armando César Cortes-Rodrigues : « Nous sommes le sujet des conversations du moment dans tout Lisbonne ; je vous le dis sans exagérer. Le scandale est énorme. On nous montre du doigt dans la rue et tout le monde – même ceux qui ne s’intéressent pas à la littérature – parlent d’Orpheu. »
La postérité a montré qu’au scandale a succédé la reconnaissance, ainsi que l’explique Patrick Quillier, le traducteur, dans sa postface sur l’histoire de la revue.
Goulven Le Brech
Ypsilon éditeur, 280 pages, 33 €