Les Moments littéraires n° 34

Colombe Schneck

 

Colombe Schneck, beaucoup la connaissent avant tout comme journaliste. Télé, radio ou encore documentaire, elle évolue depuis des années à la croisée de plusieurs domaines. En revanche, on sait moins qu’en parallèle de ses activités professionnelles, la croqueuse de médias se fait aussi chroniqueuse de son arbre généalogique. Dans des livres qui commencent, puzzle en extension, à former un ensemble cohérent, elle revisite son histoire familiale. Elle exhume des secrets, fouille au fond des malles, file des ombres. Elle est donc à l’honneur dans Les Moments Littéraires, revue semestrielle publiant essentiellement journaux intimes et carnets, correspondances ou récits autobiographiques. Avec L’Increvable Monsieur Schneck, Val de Grâce ou encore La Réparation, c’est justement dans ce dernier registre que Colombe Schneck se distingue. Le dossier qui lui est consacré se déroule en trois temps. Jean-Noël Pancrazi ouvre le bal avec un portrait de la belle en « petit tourbillon ». Il la décrit pimpante et piquante, et plus grave que sa légèreté assumée ne veut bien le laisser paraître. Suit un entretien avec Gilbert Moreau, le maître des lieux, qui creuse avec elle les voies de la création. Comme souvent dans cette revue, on parle inspiration, références, aspirations, bref, cuisine littéraire, dans un aller-retour permanent entre la vie et les livres. Ce dossier se termine sur un inédit, « La glace à la pistache », un texte très touchant, pudique et en même temps d’une totale franchise, dans lequel Colombe Schneck évoque la figure attachante de Jean-Marc Roberts, son éditeur chez Stock, disparu en mars dernier. Entre eux se noue une relation très particulière, au-delà de la simple amitié, croit-on comprendre. Un homme avec ses fantaisies, ce Roberts, qui aura été son éclaireur dans le milieu littéraire, mentor à sa manière.

 

Après le dossier, on trouvera également deux autres contributions au sommaire de ce numéro 34. Celle de Hervé Ferrage sur les attentats du 11 septembre 2001 dont chacun d’entre nous garde intactes en soi les images terribles. Alors attaché aux services culturels français à New York, il raconte « l’ébranlement », l’hébétude devant l’énormité, « la violence de l’événement ». Et puis, après la stupeur et la sidération, l’habitus américain qui, très vite, reprend le dessus. Reste cependant la mélancolie, comme l’écrit après-coup Hervé Ferrage dans un post-scriptum, et le souvenir de cette vision des débris et gravats des Twin Towers qu’on déblaie coûte que coûte. Ces notations ne sont pas seulement d’ordre journalier, elles essaient aussi de s’extraire du quotidien pour interroger le sens de l’Histoire en train de se faire. D’un tout autre genre, le texte de Claire Dumay est une variation personnelle sur l’acte d’écrire, ses freins et ce qu’on pourrait appeler ses refrains. À travers bien des contradictions, dont la moindre n’est pas le plaisir dans la souffrance, elle dit comment, dans une sorte d’éternelle répétition qui fait penser au mouvement de la marée, l’écriture se donne et se refuse. Comment, au-dessus de sa page blanche, elle peine à la saisir, à la retenir. Flux et reflux, frôlement et fuite, « va-et-vient entre ce que je vis et la feuille ». Pour elle, l’écriture est ce travail de composition d’une mémoire au présent : « Lorsque je relis, je sais que j’ai vécu. Les mots restent parfois lointains, noirs, durs, comme la cire refroidie, mais ils m’accordent toujours la certitude d’avoir existé ».

 

Anthony Dufraisse