par Éric Dussert
2016, in La Revue des revues no 56
Adieu est une revue littéraire de jeunes, comme cela se disait autrefois, et elle en arbore tous les signes distinctifs : fraîche, fougueuse et dépeignée, elle est le fruit d’un duo de frères pleins de projets (ils composent aussi le groupe de rock Sedona Sunrise) qui se sont trouvé une parenté avec Jacques Vaché. Un cousinage, soyons exacts, qui constitue pour eux l’aubaine, voire le facteur déclenchant. C’est plus qu’il n’en faut en effet à des artistes entreprenants pour fourbir une revue littéraire. C’est ainsi que dans un format quasi A4, produit par imprimerie numérique et broché sous une très belle couverture au pelliculage tendre, la revue Adieu s’est invitée dans le concert avec l’assurance des conseils d’un personnage du milieu, même s’il s’en est exclu par son franc-parler autant qu’il en constitue une figure, Marc-Edouard Nabe lui-même. Désormais pamphlétaire à galerie (d’art semble-t-il), ce bretteur et mémorialiste sans vergogne a élaboré avec le temps un personnage ambivalent qui évoque certains ronchons de style, depuis René-Louis Doyon jusqu’à Pierre Béarn, en passant, pour la peinture – car il peint – un Jacques Yonnet qui aurait été moins facétieux. Naturellement, enhardis par ce renfort exceptionnel, les deux frères se sont engagés sans réserve, à fond, plein gaz, sans se préoccuper de bienséance, ou plus simplement de leur réception dans le milieu littéraire. Il est vrai que la réputation clastique du vieux cousin éloigné était en jeu.
Dans un préambule plutôt amusant, David et Julien Vesper-Vaché, qui ne craignent pas le néologisme et le bon mot, relatent leur irruption en terre éditoriale : « C’est le 14 juin 2015 (…) Nous étions tous les deux en vagabondage dans le malfamé et morbidement intriguant quartier Saint-Germain où se déroulait, sur la petite place en face de l’église Saint-Sulpice, un triste “marché de la poésie’’ auquel nous voulions jeter un œil. Avec un nom pareil, une telle activité n’aurait dû pouvoir être que réjouissante rafraîchissante…
« Tu parles ! Que des pépés ! (…) »
Ailleurs, ils précisent leurs intentions : « Soyons clairs, la revue Adieu n’est pas une revue sur Jacques Vaché. Hors de question de faire les « Cahiers Vaché » ! Adieu n’a pas vocation à contenter les thuriféraires poussiéreux et autres « spécialistes » fétichistes. Nous ne pouvons affirmer que Jacques serait des nôtres mais à coup sûr il rirait, et de façon beaucoup plus méchante que nous, des réactions des petits gardiens du temple surréaliste qui font la grimace devant le premier numéro d’une revue lancée par ses enfants. Nous ne sommes pas des fans de Vaché, nous sommes des Vaché. Jacques a fait la guerre de 14, nous faisons celle de 16. »
Sur le sentier de la guerre, les Vaché/Vesper sont finalement comme des enfants, qui, après avoir tourné sans fin autour de la table du salon en tapant sur les nerfs de toute la famille, se lancent à l’assaut du monde et, pour se donner du courage, choisissent un ennemi abordable auquel allonger des torgnoles. Les victimes sont nombreuses. Tout d’abord, dans une « Revue des revues » sans compromis, les deux bretteurs emplafonnent la concurrence en termes très clairs. On croirait revenu le temps des duels. Quelques fragments choisis parmi les plus édulcorés : Les Cahiers de Tinbad de Guillaume Basquin sont d’un « fou qui se prend pour un éditeur, collé au fantasme de copier Sollers », Raskar Kapac est « une revue de disciples ratés et haineux de leur Maître… » (Nabe lui-même puisqu’il est aussi la boussole d’Adieu), ou Philitt qui « est au mieux, rien. » Suit une photographie explicite de ces trois publications écrasées dans le caniveau.
Avec autant de détermination que d’arrogance, la rédaction poursuit son exercice sous différentes formes, textes de création, fragments critiques de John Cowper Powys, poésie, etc. Hors la rubrique contondante évoquée, les coups sont répandus de manière plus étale, dispersée. Il y a de la colère là-dessous et le besoin d’en découdre à tout prix. Et sans ennemi, disions-nous, pas de combat. Jacques Henric en fait les frais, puis vient le tour de Philippe Muray, « Mollah aveugle des pseudo mal-pensants », puis d’autres encore dans des écrits qui ne masquent pas l’influence majeure du grand homme dont les effets de plume ont inspiré la jeune garde. Qui aurait mieux fait de potasser Jacques Vaché, Arthur Cravan et quelques autres poètes vif-argent de leur époque.
Adieu est donc une curiosité de la nôtre. On comprend bien que la publication est taillée par ses concepteurs pour concourir dans la catégorie « Brûlot ». Malheureusement les jeux olympiques viennent de se clore et les jeux paralympiques n’ont pas commencé : où classer dès lors ces éructations, ces baffes et ces tirades qui se méprennent sur leurs effets, tandis que les choix positifs de la rédaction (des commentaires sur Bowie, Monet ou Malcolm X, voire même un entretien avec Marien Defalvard, prix de Flore à dix-neuf ans en 2011) pourraient la rendre sympathique. Finalement, l’attention qu’elle porte aux peoples du petit milieu parisien, aux sujets d’époque comme le selfie, voire aux prétextes à scandale comme l’excision, ne dénoncent jamais que cette petite sociologie caractéristique des littérateurs en mal de littérature. Le bon côté de la pièce, c’est qu’il est certain que la prochaine livraison de la revue des frères Vesper sera lue avec grande attention – si elle se survit malgré le programme de son titre plein de morgue. Adieu, certes, mais bonjour…