Architecture & Poésie

Architecture & Poésie n’est pas diserte sur elle-même. Un ours en première page déploie un collectif nombreux : nous sommes dans une revue-tribu. Seize auteurs, trois traducteurs, onze photographes (parfois l’un et l’autre) sous un rectangle vide encadré de noir épais : étrange pour un faire part de naissance. Nous apprenons que A&P est diffusé et distribué par anti-Aufklärung (mais où, quand, pourquoi ?) et que la revue est imprimée en Italie.

 

Le sommaire en forme de chemin de fer donne l’ordre des choses sur deux pages et puis… plus de pagination. Il laisse voir l’incongruité d’une page « Intercalaire », remarquable car seule page blanche de l’ensemble, la cent-onzième. Les autres pages sont pleines à craquer : beaucoup d’œuvres (dessins, photographies) les occupent, entièrement, à bords perdus.

 

 

Les textes sont au long cours, les caractères à chaque fois différents, déconcertants. Nous sommes loin d’une poésie qui s’économise, compte les syllabes et flotte dans une page dépouillée.

 

Les amateurs de poésie y trouveront leur compte. Tenez, ainsi les quelques pages accordées à Frédéric Déotte, « La conjoncture de Sylvester » pourtant imprimées en corps 9 ? moins encore ? et avec des notes. Dont la profuse no 261.

 

Le lecteur venant pour l’architecture en revanche sera interloqué. Point ici de photographies d’espaces sublimes et vides, de représentations savantes ou léchées de concepts spatiaux. Les œuvres plastiques présentées dans A&P sont de deux sortes. Les photographies sont pleines de vie, de mouvement, de personnes (« vraies » pourrait-on ajouter) occupées à d’étranges activités, rituels chamaniques ou exutoires : jardinage dans une cité de Bergerac, carnaval à Hambourg qui recycle une campagne électorale, théâtre autour d’un feu en Dordogne…, artisanat ordinaire de fabrication de dictaphones en bois et papier mâché… Pas d’élévations/plans/coupes mais nombre de collages en séries, qui mêlent plans de ville et dessins, des photographies urbaines avec tracts, prospectus et presse locale (Saint-Nazaire). Nous avons affaire ici à des activistes. Leur activité première est fondée sur l’être au monde, faire feu de tout bois, habiter là, ce « là » reflété par le hier allemand, car ces artistes franchissent le Rhin dans un sens ou dans l’autre, trouvant des lieux où réagir et s’exprimer dans les interstices des villes allemandes, Hambourg, Berlin ou, de ce côté, Bergerac, la Dordogne l’été…

 

La contribution de Wim Cuyvers, architecte et essayiste, se réfère à Max Stirner et son ouvrage L’Unique et sa propriété, texte de 1844, pour nous parler d’architecture et de politique, de philosophie. D’idéal et de vivre ensemble. Dans ces deux pages, l’on trouve ce qui assied cette revue engagée et déroutante, luxueuse et abordable (21 x 28, en quadrichromie, 164 pages pour 10 €).

 

Yannick Kéravec