par Elvire Lilienfeld
2017, in La Revue des revues no 57
Mémoires en jeu
Enjeux de société
Attention, revue exigeante !
Elle contient dans son titre une idée d’urgence qui porte en elle toute la profondeur des propos qui s’y déploient. Mémoires, au pluriel, et tout est là. Ce pluriel évacue d’emblée l’imprécision de « mémoire » au singulier et il convoque immédiatement une multiplicité de regards et d’analyses. La matière qui va être travaillée, explorée, examinée va l’être sous des approches diverses : historiques, sociologiques, culturelles. Le but : ne pas laisser les mémoires être étouffées. Essayer de comprendre comment elles se construisent, se reconstruisent, se déconstruisent, se façonnent, s’élaborent, s’écrivent, se déforment – je pense notamment à l’article “La déformation intergénérationnelle de la mémoire : autour de l’ouvrage sociologique Grand-père n’était pas un nazi” (no 2).
Mémoires en jeu traite des mémoires et des ponts que l’on peut établir entre elles, mais ce n’est pas ici que l’on se souvient des belles choses, et les histoires que l’Histoire transporte dans les mémoires (individuelles et collectives) sont assez souvent proches de l’extrême. Le siècle dernier a été plutôt généreux en la matière – manière de dire que les mémoires se construisent sous les dictatures, les exactions, les guerres, les massacres, sur les génocides et la violence.
Qu’en faisons-nous ?
Urgence aujourd’hui à justement en faire quelque chose. Le premier numéro a paru en septembre 2016, le deuxième en décembre de la même année. Les événements récents nous font applaudir encore plus fort à cette initiative qui veut abattre les murs et les cloisons.
Oui, il faut que les mémoires puissent être des enjeux de société – c’est le sous-titre de la revue, qu’elles soient questionnées, mises en perspective, discutées, et non laissées au discours politique idéologisé et démagogique, qui fera feu de tout bois, créera du brouillage et de la confusion et ajoutera de la colère à la souffrance – lire à ce sujet dans le no 1 “Un nouveau récit national pour la Pologne”. Et puis ne pas s’arrêter à cet article, tout lire, et le no 2 également, en attendant le dossier consacré au dark tourism de la 3e livraison. Lire la revue même si l’on n’est pas historien, ou spécialiste de ces questions, parce que l’on n’est jamais hors du champ historique. Parce que la mémoire nous concerne individuellement et les mémoires nous impliquent collectivement.
Loin d’être le lieu de la vérité du savoir, Mémoires en jeu est l’endroit de l’exercice critique, des questions ouvertes sur des sujets complexes et difficiles, sur les faits, leur(s) histoire(s), leur(s) narration(s), sur ce qu’on en fait et sur l’examen de ce que d’autres en ont fait, ici et ailleurs, hier et aujourd’hui. Et c’est proposé avec une énergie et un dynamisme sensibles dans toutes les formes (entretiens, portfolios, dossiers thématiques…) et portés par la maquette qui associe aux textes une iconographie sur laquelle il est impossible de ne pas méditer : un objet de choix pour le lecteur curieux et attentif – et bilingue, la revue est en français et en anglais.
Se plonger dans Mémoires en jeu nécessite du temps, un temps nécessaire pour une revue qui interroge nos interrogations et questionne nos questionnements.
Exigeante, disais-je.