On n’accorde sans doute pas à Benjamin Fondane la place qu’il mériterait d’occuper dans l’histoire de la littérature du XXe siècle. Mais il a des lecteurs fervents et actifs, qui s’emploient à le faire mieux connaître. Le vingtième numéro des Cahiers Benjamin Fondane, de plus de 200 pages, donne à lire des études sur son œuvre complexe et multiforme ainsi que des textes inédits en France, dont certains de Fondane lui-même.
La livraison 2017 s’ouvre par un important dossier sur son théâtre. Car l’art dramatique fut l’objet d’un intérêt précoce et durable de l’auteur de Philoctète, du Puits de Maule et surtout de l’admirable Festin de Balthazar. Des articles reviennent sur l’expérience, éphémère mais marquante (aussi bien pour Fondane lui-même que pour certains des spectateurs de l’époque), du théâtre Insula. Entre décembre 1922 et mars 1923, Fondane tente, selon les termes qu’il employait quelques mois plus tôt dans un manifeste, de procéder à une « purification spirituelle du théâtre ». C’est le moment où il tient par ailleurs la chronique dramatique dans la revue roumaine d’avant-garde Contimporanul. Le théâtre de Fondane est profondément marqué par la grande tradition, très vive alors en Europe centrale et orientale, du théâtre yiddish. Mais des expériences novatrices comme celles du Vieux-Colombier de Jacques Copeau ou du théâtre de la cruauté d’Artaud se rencontrent également avec ses préoccupations. Le fort antisémitisme qui règne en Roumanie en ces années 1922-1923, suite à l’octroi de la nationalité roumaine aux juifs, aura raison de la tentative de rénovation, sans que son auteur cesse pour autant de s’intéresser à l’art dramatique.
Un autre dossier est consacré au dernier recueil de poésies de Fondane, Au Temps du Poème, écrit dans le contexte tragique de l’occupation allemande, alors que l’écrivain est interdit de publication par les lois de Vichy. Plusieurs études, fort éclairantes, sont consacrées à différents aspects de la poésie élégiaque du poète traqué.
D’autres articles sont consacrés à un aspect également important de l’œuvre de Fondane : la philosophie. Les rapports de sa pensée avec celles d’Aristote, de Ferdinand Alquié ou de Heidegger sont analysés. Il faut signaler particulièrement une remarquable étude de Maria Villela-Petit sur la présence de la pensée philosophique dans le théâtre de Fondane.
Un examen des rapports d’Yves Bonnefoy et de Fondane et un article sur la question de la traduction complètent ce riche numéro où on notera, parmi les inédits, un admirable « Appel aux étudiants », publié en décembre 1934 par Fondane dans une revue roumaine de Paris. Il y invite les étudiants roumains de France à la vigilance et à la résistance face au péril fasciste. Un texte remarquable, qui n’a pas, hélas, perdu toute actualité.
Karim Haouadeg