Les hasards suscitent des rencontres improbables sur les étagères d’Ent’revues.
L’on pourrait les opposer pour la forme : l’une resserre sous une couverture à l’illustration riche (et ce sont les mêmes qui se prolongent du recto au verso, de la danse des morts à la tache de sang) des pages d’une belle sobriété, intercalées de jaune brûlant quand l’autre s’annonce sous une sage étiquette écolière comme un cahier vert sapin qui s’orne intérieurement de nombreuses vignettes, et pleine de poèmes.
Il s’agit des Cahiers du Bayle-Vert. La revue s’ouvre sur une lettre envoyée par Max-Philippe Delavouët (1920-1990) à un jeune poète, Jean Breton, créateur du groupe et de la revue Les Hommes sans Épaules. Une résonance mais ce n’est pas la seule qui nous inspire. Le cahier d’amis s’intéresse à l’œuvre en provençal “Ço queTristan se disié sus la mar”, notamment ce qu’elle porte des héros Tristan et Ulysse, et des thèmes du voyage maritime. Du périple. Un voyage à travers les mythes, les imaginaires et l’histoire littéraire. Et la poésie de Max-Philippe Delavouët surtout. Six articles étudient ce poème, abordent ces héros, abondent en citations et illustrations.
Alors cela résonne des contemporaines traversées de la Méditerranée, des “décrets de méduses et de bateaux noyés” (Frères migrants, Patrick Chamoiseau), de ces vies qui se risquent pour un espoir de continuité.
“il y a une antiquité sombre déposée dans l’être
qui concorde
avec le point actualisé de son péril.”
C’est ainsi que commence le premier des poèmes publiés dans estuaire, nous le devons à Jean-Philippe Bergeron.
Cette 171e livraison à pour thème “Périls”. La poésie québécoise s’enracine aux paysages, au territoire. La vie même, les bonheurs. Et les peurs aussi. Alors ce péril viendra du fleuve, d’une rivière (Laurie Bédard, Roxane Desjardins). La mer vaut pour frontière (Un phare est évoqué. Falaise. Sébastien B. Gagnon). Pour frontière ou pour creuset des mythes, donc des peurs aussi. J.-P. Bergeron “oscille entre voyage en mer/et sacrement dans la jungle”. Les périls sont en dedans. Familiers. Chiens, chiennes apparaissent souvent. Périls incarnés. Symbolisés. “cela vient de l’intérieur d’un gène” (Franz Schürch). Ou encore “du dehors tout passe au sang” (Chloé Savoie-Bernard)…
La revue se complète d’un cahier critique. À signaler : l’au revoir de sa directrice littéraire, Véronique Cyr, “convaincue d’une chose, au terme de cette aventure, c’est qu’une revue de poésie appartient d’abord et avant tout à sa communauté poétique, qui doit l’investir et lui conférer tout son rayonnement.”