Big data ! Avec le Règlement général pour la protection des données (le fameux RGPD), nos boîtes à lettres virtuelles et nos pensées ont été saturées de messages et d’informations sur les « données », leur importance, leur sauvegarde et leur protection. D’un côté on s’enthousiasme devant l’extraordinaire accumulation, de l’autre on s’inquiète et on s’interroge sur les conséquences : nouvelle forme de société, nouvelle éthique, nouvelles façons de vivre, de penser, de gouverner ? Ces dernières années, la réflexion et les travaux scientifiques ont été innombrables tant il importe d’essayer de mesurer et de comprendre la disruption numérique, le « tsunami numérique » et tout simplement, ce qui nous arrive.
La Revue française de sociologie dans son numéro de juillet-septembre 2018 consacre un dossier au thème « « Big data, sociétés et sciences sociales ». Six articles de fond approchent le phénomène de différents points de vue et à partir d’exemples très différents : de l’apport des Big data à l’étude de la différence d’âge au sein des couples (Marie Bergström) aux effets de waze sur les politiques de régulation du trafic (Antoine Courmont) en passant par l’analyse des opinions politiques sur Twitter (Marita Severo et Robin Lamarche-Perrin). L’introduction des responsables du volume, Gilles Bastin et Paola Tubaro, revient sur le sens de ce Big Data. L’expression date de 2003, elle a quinze ans et vit une adolescence hyperactive. « Méga-données », l’expression française recommandée par le Journal officiel n’a pas eu le succès escompté. La connotation orwellienne et l’écho à Big Brother ont sans doute joué un rôle dans le succès de l’expression. Le Big data se définit par les 3 V : volume, variété, vitesse auxquels on peut ajouter désormais un quatrième, véracité des données, voire un cinquième, valeur – à quand une théorie de la valeur numérique ? Au final, les auteurs s’interrogent sur la pertinence de l’expression : ce dont il est question n’est pas toujours big, quant aux « données », elles ne sont pas données mais produites, ce qui constitue un point nodal. « Il est nécessaire de considérer aussi la donnée comme un travail » écrivent Bastin et Tubaro (p. 390), rappelant ainsi l’importance d’une approche sociologique du phénomène, une sociologie elle-même en plein moment Big data. Chaque étude s’accompagne d’une bibliographie très fouillée donnant en abondance outils et références.
Outre les articles, le numéro propose enfin une rubrique de recensions d’ouvrages français et internationaux particulièrement utiles. Parmi ces comptes rendus, Élise Penalva-Icher (IRISSO-Paris-Dauphine) présente par exemple l’ouvrage de Nick Srnicek consacré à « l’économie de plateforme » (Platform Capitalism, Polity Press, 2017) tandis qu’Alexandra Bidet (Centre Maurice Halbwachs-CNRS) analyse l’important ouvrage de Patrick Flichy, Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique (Le Seuil, 2017).
Ce riche numéro de la Revue de sociologie trouvera donc une place de choix sur les rayonnages réels ou virtuels de la bibliothèque de la mutation numérique en cours.
Revue française de sociologie, no 59-3, juillet-septembre 2018.
François Bordes