Recherches en Esthétique consacre son 23e numéro à un sujet qui l’est tout autant : la question des liens entre l’art et l’action. Dans la lignée de ses numéros précédents – art et engagement, art et hasard – son équipe creuse la veine de confrontations notionnelles suffisamment larges pour parcourir de nombreux rivages. Le soin de la précision et de la profondeur étant laissé, heureuse idée, aux auteurs. On retrouve ici, outre les habitués de la revue – au premier rang desquels se situe son fondateur et directeur de publication Dominique Berthet – certaines figures tutélaires dont le C.E.R.E.A.P. a toujours été un ardent promoteur et diffuseur, tel le grand théoricien Frank Popper qui s’intéresse ici à l’idée d’« actions créatrices ».
Le numéro s’organise autour de quatre parties thématiques. Les deux premières font la part belle à une approche spéculative et théorique de la question : « création et action », « figures de l’action ». Le suivante se centrent sur des études de cas plus précises qui soulignent largement l’histoire de la revue : une partie très « intermédialité » où se côtoient l’analyse des films de Youssef Chahine et l’étude comparée des textes de Pascal Quignard et Marguerite Yourcenar, et une série d’articles questionnant l’action artistique depuis les traditions antillaises et réunionnaises. Cet assemblage de textes selon des fils thématiques disjoints déroute bien souvent, dans des mises en rapports de textes qui ont souvent tout du coq-à-l’âne. On invitera plutôt à lire ce numéro comme la traduction mouvementée et vivante des recherches portées par une revue sachant décloisonner ses focales, théories, univers et rédacteurs pour proposer des traces fécondes à la réflexion esthétique plutôt que des systèmes théoriques d’interprétation des œuvres.
Les textes les plus théoriques abordent chacun l’immensité du sujet de l’action par des faces diverses mais in fine concordantes : on retient notamment la démonstration érudite et stimulante de Martine Bouchier sur la question de « l’esthétique en action », qui parvient à inscrire la réflexion au-delà du seul monde de l’art, pour questionner aussi bien ce dernier que le phénomène d’esthétisation d’objets non artistiques, ou d’usages extra-esthétiques des œuvres d’art. La question du corps, chère à Dominique Berthet, constitue un objet d’étude récurrent et remarquablement traité dans les articles qu’y consacrent le rédacteur en chef ainsi qu’Hugues Henri (à propos du domaine brésilien) et Aude-Emmanuelle Hoareau (sur l’oeuvre du sculpteur Jack Beng-Thi).
C’est dans cette multiplication des ouvertures thématiques et théoriques que brillent ce dernier numéro de Recherches en Esthétique, ainsi que dans sa capacité jamais démentie à présenter des artistes parfois trop ignorés. Si l’on peut regretter que ces ouvertures soient trop souvent à la fois succinctes – du fait de la taille limitée des articles – et difficiles d’accès pour un public non spécialiste, ce vingt-troisième numéro poursuit indubitablement avec brio le travail mis en œuvre par la revue et le C.E.R.E.A.P. depuis désormais presque un quart de siècle.
Pierre Tenne