Voleur de feu n° 9 : lumière noire

Fondée par William Mathieu, secondé par Édith Masson, l’artistique et littéraire revue Voleur de Feu, sous forme de cahiers non brochés, impose un rituel. Ou pour mieux dire, appelle un cérémonial, celui du dépliage. Au recto d’un épais papier mat au format semblable à des posters, on découvre un texte signé Dominique Boudou, romancier et poète né à Paris en 1955 et Bordelais d’adoption. Et au verso, centrées en pleine page, les créations de la plasticienne Virginie Vandernotte, native du Nord de la France et vivant en partie, elle aussi, à Bordeaux.

 

Arbitrairement, commençons par les mots : dans un long poème en prose, Boudou marche à reculons. À tâtons il s’en retourne vers ses dix ans, un âge qui semble-t-il le hante. C’est, dirait-on, un arrière-pays qu’il arpente sans cesse ; « pays dont l’horizon est toujours en fuite ». Encore et encore il y revient, travaillé par « le vertige des voix perdues dans la mémoire du ventre ». Cette enfance, il la convoque comme pour mieux en conjurer les chimères et sortilèges. Cette enfance, il la recompose au hasard des réminiscences ; il lui compose un bouquet de fleurs inquiètes.Cette enfance, Boudou en requiert presque malgré lui la trouble et troublante présence. Oui, « une lumière noire » en émane. Le poète en écoute les échos, en recolle les morceaux – attention, certains éclats sont coupants : « Je rassemble ici mes enfances de berges et de margelles, de courtilières courant sous les humus, de corps figés dans la langue. » Tant il est vrai qu’« on ne guérit pas facilement d’être ou d’avoir été un enfant » (comme l’écrit Lionel Bourg, cité dans le texte), Dominique Boudou rumine ce temps-là et se réchauffe, quitte à se brûler, au contact de cette inextinguible vie ancienne. Tout en ressassements et reprises, cette dense prose poétique fait danser bien des ombres et des silhouettes qui, pour être familières à l’auteur, n’en conservent pas moins leurs mystères.

 

 

Ici on ne sait pas qui, de l’écrivain ou de la plasticienne, a inspiré l’autre ; qui, des mots ou du travail pictural, a été la source première et à dire vrai peu importe. Dans tous les cas, le texte et les images s’accordent à merveille, non pas dans un rapport d’illustration, mais plutôt de prolongement. Le tout s’inscrit dans une même dimension d’intrigante étrangeté. Au voisinage l’un de l’autre, ils s’éclairent, s’appellent, s’enrichissent. L’un comme l’autre, ils sont porteurs d’une même vibration. L’un après l’autre, ils invitent à glisser dans une rêverie suggestive. C’est que le pinceau de Virginie Vandernotte esquisse des formes, chimères d’un bestiaire et silhouettes ou figures humaines, dont le mode d’apparition est un jeu perpétuel avec des couleurs souvent mélangées et, pour ce que les reproductions papier en laissent deviner, très texturées. Un univers bien étrange que celui-là, volontiers naïf, d’un onirisme évident on l’a dit, rappelant par moments les Shadoks aussi bien que l’atmosphère de certaines toiles d’un Chagall. Bref, Dominique Boudou aux mots, Virginie Vandernotte aux pinceaux, c’est une rencontre qui a vraiment du sens.

 

Anthony Dufraisse