L’été dernier, le toujours très discret Gilbert Moreau, à la tête des Moments littéraires, nous avait gratifiés d’un très beau numéro anniversaire*. Car sa revue a 20 ans, déjà. Vingt ans qu’elle donne à lire toutes les formes d’écrits intimes et privés, du journal au carnet en passant par la correspondance. Vingt ans que son inchangée et élégante simplicité nous ravit (quand tant d’autres en font graphiquement des tonnes, cherchant à en imposer par la forme plutôt que par le contenu). Toutes ces années, donc, à constituer un précieux patrimoine littéraire. Un patrimoine, oui osons le dire, qui trouve hélas trop peu de place dans l’édition courante. Et osons dire aussi que ce faisant, sans tambour ni trompette, cette revue est chère à nos yeux. Une de nos préférées ? Sans doute. La romancière Fabienne Jacob, à qui est consacré le dossier de la nouvelle livraison, était déjà au sommaire du numéro anniversaire. Cette fois, elle seule se voit mise à l’honneur. Outre un entretien avec l’intéressée, exercice que Gilbert Moreau se réserve à chaque fois, Claudie Hunzinger, Marie-Hélène Lafon et Julien Thèves ouvrent la voie à une approche d’une œuvre romanesque qui explore l’enfance, le corps, le désir. Ou pour mieux dire, ils ouvrent cette voix singulière pour voir comment elle résonne en eux. Thèves : « C’est une écriture d’une puissance d’évocation intense. » Lafon : « Les hommes et les femmes des livres de Fabienne Jacob sont d’anciens enfants. Ils ont gardé dans un coin embroussaillé d’eux-mêmes un bout de chagrin, deux ou trois plis d’être, quelques éclats vifs de joie folle, et des fous rires secoués » – c’est si joliment dit, et surtout si bien senti.
Si le dossier occupe en toute logique une bonne partie de ce 41ème numéro, la parution fait place à d’autres contributions, hors thématique, comme c’est la coutume. Il y a des notes de voyage – « Cabotages » titre-t-il – de Gilles Ortlieb, observateur amusé du monde comme il tourne et chez qui l’on aime retrouver un dilettantisme goguenard. Il y a aussi des passages de récents carnets de Françoise Ascal, dont la sensibilité à vif est touchante parce qu’elle regarde en elle et autour d’elle ce qui est fragile et fébrile. Il est fait place, aussi, à Madeleine Dinès, l’une des filles du peintre catholique Maurice Denis. Une belle découverte que d’avoir pour la première fois connaissance du journal 1926-27 de celle qui fut aussi l’épouse du poète Jean Follain. À l’époque, personne ne semblait pouvoir fléchir sa résolution de devenir peintre (dans un tout autre style que son père, surnommé « le Nabi aux belles icônes »), résolution improbable dans ces années-là pour une jeune femme : « Ce journal des vingt ans résonne de la révolte et de la fragilité propres à la jeunesse, tout en dévoilant le désir d’indépendance farouche, l’esprit critique, la sensibilité littéraire de Mademoiselle Denis. Elle s’apprête à inventer son nom de peintre : Dinès – le revers de Denis – dont elle signe bientôt ses premiers tableaux », explique l’universitaire Élodie Bouygues en introduction de ces extraits inédits.
Anthony Dufraisse
* Y participaient, pour mémoire et pour ne citer qu’eux, Pierre Bergounioux, Régine Detambel, Annie Ernaux, Denis Grozdanovitch, Roland Jaccard, Charles Juliet, Marcelin Pleynet, Camille Laurens, Emmanuelle Pagano ou encore le regretté Dominique Noguez, la plupart habitués des pages de la revue.