Conférence, 47e et dernière

 

« Voilà sereinement achevée la journée de travail. Elle  aura duré vingt-trois ans. » La phrase est si belle qu’on voudrait la laisser en suspension, s’arrêter là, elle qui donne congé, qui écrit les premiers derniers mots de Conférence. C’est par un texte court – un billet au regard des sommes dont la revue est coutumière! – que Christophe Carraud referme les volets de la demeure somptueuse qu’il a bâtie, qu’il a voulu grande ouverte sur la philosophie, la littérature, les artistes, avec ses allures parfois de villa romaine ou vénitienne et ses airs fréquents de chalet suisse. On ne dira  pas ici de combien de feux la revue nous a réchauffés, à combien de banquets elle nous aura conviés, ni le nombre de conversations sans mesure qu’elle a su entretenir (pas faciles de suivre au demeurant tant de dialogues si denses, si riches de savoirs offerts qu’on s’y étourdissait).

 

Sans mesure : combien de dizaines de milliers de pages au compteur, combien d’humeurs moroses, de calmes emportements contre une époque étrécie, une époque tête-de-linotte, toute occupée de rien, asséchée, futile et fumeuse : «Les aveugles d’aujourd’hui pratiquent la contemplation des leurres. » (Pierre-Alain Tâche)

 

Ces quelques pages donc non pour (re)dire combien l’exercice fut à la fois difficile, heureux, solitaire, semé de fatigue mais aussi de rencontres, de plaisirs, de partages, mais un texte palimpseste qui découvre sous le destin rompu de Conférence, et par la coïncidence des dates,  deux autres figures, deux autres revues: Cartevive qui rend hommage à Guido Ceronnetti (« L’espèce s’éteindra quand cesseront de s’échanger des lettres intimes… ») et la revue de Giancarlo De Carlo Spazio e societa dont l’arrêt après 23 ans d’existence se dit ainsi : « …la fatigue de continuer à dépenser de l’énergie et des ressources pour garder un public fatigué à son tour par la présence de trop de revues – futiles pour la plupart ».

 

Certes Conférence fut rien moins que futile : dans son « inactualité », elle a taillé un fantôme de lecteur exigeant, attentif, patient, dirait-on profond…

 

Une patience que ce numéro a, par son retard de parution, mis une nouvelle fois à l’épreuve :  dans le liminaire de cette livraison d’une eau toute autre que le texte conclusif, Christophe Carraud, sur un ton gentiment persifleur, écrit : «  Nous savons que quelques lecteurs se sont plaints, en ces mois de doléances, de l’abondance de nos numéros, et de n’y pouvoir tout lire. » (On ne se refait pas…).

 

Ainsi s’ouvre infiniment Le repli. 47e et dernier numéro de Conférence qu’on n’a évidemment pas « pu tout lire ». Ni même un peu encore.

 

Et c’est ainsi que Conférence n’est pas morte, que sa lecture est toujours devant nous.

 

André Chabin