Il y a dix ans, au lancement du Grand Paris par Nicolas Sarkozy, il y eut fanfares et trompettes. L’officialisation de ce projet fit grand bruit, la grosse caisse médiatique aidant. Le titanesque est toujours tonitruant. Dix ans après ce vacarme, la revue Vacarme s’intéresse aux aspects très concrets d’un « projet mastodonte » (Athanase Husseini-Khoury) qui a pris forme non sans conflits et rapports de force. Vu de haut, sur le papier glacé des cartes joliment stylisées et colorées, le Grand Paris se défend, il peut même séduire. Mais vu d’en bas ? À hauteur d’homme, c’est une autre histoire, d’autres histoires que Vacarme raconte en s’attachant aux « lieux réels », à la « terre des périphéries », pour citer deux écrivaines de ce numéro, respectivement Fanny Taillandier et Olivia Rosenthal, dont les textes épousent étrangement la même présentation éclatée et morcelée, peut-être pour susciter l’idée de chantier. Des enquêtes, des études, des films, des photos nous font ainsi passer par la forêt de Romainville, par le bitume des Mureaux, dans les Yvelines, par le triangle de Gonesse. Comme le dit à un moment l’historienne d’art Zahir Rahmani dans un entretien, le problème de la cartographie c’est qu’elle rebat les cartes de la représentation symbolique : « La carte a une fonction étrange : à mesure qu’elle nomme et décrit un territoire elle efface les anciennes représentations. Elle se découvre en même temps qu’elle recouvre un lieu et son passé ». À quoi fait écho Fanny Taillandier, de nouveau : « D’un mot magique la ville tourbillonne sur elle-même et se transforme sur place, en bouleversant la carte et le plan ». L’effervescence sur le terrain – au son des bulldozers et des bétonnières – ne se traduit pas toujours dans les existences, secouées ou inquiètes, des uns et des autres. Car bien souvent les grands chantiers redessinent les contours de la métropole sans véritable concertation avec les habitants, et cette physionomie renouvelée à marche forcée brasse avec elle bien des problématiques : l’habitat, l’urbanisme, la mobilité, le logement, la spéculation immobilière, le devenir du foncier agricole, l’emploi et, plus simplement mais fondamentalement, les habitudes quotidiennes – comment on vit là, ici et maintenant. Sans oublier, on l’a évoqué plus haut, l’enjeu de la mémoire : « Ce qui se dessine là, c’est l’effacement des histoires naturelles, des histoires ouvrières, des histoires de l’immigration au profit d’une génération sans passé et sans avenir. Le Grand Paris écrit dans l’espace le récit d’une ville sans histoires », estime Paul Guilibert qui, avec Nikola Chesnais, a arpenté la forêt de la Corniche des Forts et la Cité Gagarine, à Romainville. Bref, dans ce Vacarme-ci, Paris en ses confins prend conscience de lui-même, pérégrination après pérégrination, d’un territoire l’autre.
Anthony Dufraisse