L’œuvre d’Hergé est sans doute la plus célèbre de la bande dessinée mondiale. Elle habite presque toutes les enfances. Depuis des décennies, elle occupe critiques et amateurs fervents qui débattent de son histoire, de son évolution, de ses qualités, de la place essentielle qu’elle occupe dans l’histoire de la bande dessinée, mais aussi de ses conditions de création, ses implications idéologiques, sa place dans l’histoire du XXe siècle. On ne compte plus les publication sur le sujet, ni les discussions plus qu’animées entre tintinophiles de tous poils et de toutes écoles. Ces jours-ci par exemple, vient de paraître un Petit éloge de Tintin signé Pierre Langlois ; on se souvient de la grande exposition Hergé au Grand Palais…
Dans la constellation des amateurs du plus célèbre des reporters belges, on compte aussi des revues comme Tintin c’est l’aventure lancée par Moulinsart et Géo et, depuis des décennies, Les Amis de Hergé qui paraît tous les six mois. On découvre toujours des choses sur Hergé –planches inédites, ventes prestigieuses, vifs débats interposés… Il semble évident que ces débats et de ces études précises sur le travail d’Hergé trouvent leur place dans des revues. Le 69e numéro de la revue – qui fait évidemment la part belle aux images ! et obéit à une pagination de bandes dessinées (58 pages) – part un peu tous azimuts !
En écho avec sa couverture, l’équipe s’interroge sur le dessin récemment mis en vente qu’Hergé a fait en 1945 pour l’anniversaire de la fille de Jean Libert, inquiété par l’épuration. Evidemment la question des opinions politiques du créateur de Tintin est souvent abordée, par de nombreux biais, mais la revue parle tout autant d’Hergé travaillant pour la publicité et les automobiles Ford dans les années 30, des rapports avec la radio, de la place de la musique dans les aventures des (insupportables) Quick et Flupke que de l’implication du dessinateur dans l’expédition antarctique belge à la fin des années cinquante. Des articles courts, informatifs et variés, des belles images…
Deux textes intéresseront particulièrement. Tout d’abord, un long article de Jean-François Douvry sur le célèbre essai de Pol Vandromme Le Monde de Tintin qui date de 1959. Puis un entretien, publié en feuilleton, qu’Hergé a accordé à radio Canada en 1961 pour l’émission Premier Plan. Hergé y parle de son enfance, des ses rapports premiers à la fiction et au dessin. Il évoque surtout le personnage de Tintin, la manière dont il né, quelles sont ses qualités évidentes, la place qu’il occupe dans l’imaginaire des enfants et la manière dont le dessinateurs prend en compte leurs attentes. Tintin est trop parfait ! C’est pourquoi on lui préfère souvent la truculence du Capitaine Haddock ou la drôlerie décalée du Professeur Tournesol… Hergé confie ainsi qu’il a beaucoup de vertus, « trop peut-être. En tout cas, il n’est pas humain, c’est un schéma d’humanité, je crois, un personnage qui ne peut, en dessin, montrer ni sa mauvaise humeur ni sa fatigue. Il agit presque trop bien. » Ajoutant que le jeunes « se reconnaissent en lui. Je crois que tout le monde porte en soi un désir d’héroïsme, et que si les enfants se reconnaissent en Tintin, c’est qu’il représente celui qu’ils voudraient être. » Hergé y apparaît simple, modeste, précis. Il y parle de traduction, de réception, surtout de la censure aux États-Unis.
C’est une revue de spécialistes certes qui discutent de détails, analyse des images singulières, participent aux débats vifs qui divisent les tintinophiles, mais qui rappelle la diversité des intérêts de l’un des créateurs majeurs du XXe siècle dont l’univers puisent à toutes les sources de son époque et ne cesse de nous donner envie d’y regarder de plus près et de relire nos albums préférés de ses héros.
Et souvenons-nous que Tintin est né en revue !
Hugo Pradelle