K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. qui paraît chez Éric Pesty est une revue brève, mystérieuse, opaque. Quelques feuillets d’un papier épais agrafés, sans fioritures. On y entre comme dans une pénombre, sans bien toujours savoir ce qu’on lit car le sommaire a quelque chose d’inévident. C’est que ce qui compte n’est pas une autorité auctoriale mais le texte, saisi dans son jaillissement, présenté pour l’effet stupéfiant, épiphanique, qu’il peut parfois produire. Et lorsque le hasard fait que l’un des textes, poèmes ou proses, nous frappe, on se dit qu’assurément cette petite revue vaut vraiment la peine.
Dans les temps politiques que nous vivons, alors que Donald Trump quitte la Maison Blanche, que le monde se confine à demi, se replie sur lui-même et s’étrécit, que la vérité ou la réalité semblent être devenues des choses relatives, deux textes nous aident à penser, à concevoir la place d’un langage articulé pour se dépêtrer de la complexité et, osons le mot, d’une certaine folie qui saisit le monde.
Tout d’abord, la première livraison d’un entretien à la forme étonnante entre Jean Daive, le directeur de la revue, et Alexander Kluge, cinéaste, écrivain inclassable – on lira pour s’en convaincre Chronique des sentiments ou encore Anita G. et Stalingrad (dont il est question dans l’entretien) – nous fait, par la médiatisation de l’écriture des films, penser la place du langage, de sa forme, dans notre perception du réel. Marqué par les travaux d’Adorno, Kluge explique : « Il y a en nous deux organes distincts avec lesquels nous essayons de reproduire ce qui nous apparaît comme étant la réalité. L’un est ce que les sens, le souvenir, l’observation nous disent : une pure capacité de différenciation, des séries de différences. Et le second est notre réaction subjective à cela : l’antiréalisme du sentiment. » Penser cet écart, cette relation, cette transmutation en quelque sorte, revigore. On perçoit et on exprime des choses différentes, on les partage par le moyen d’une relation complexe qui subvertit ce que l’on croit réel en l’inscrivant dans un sujet inobjectif. Contradiction qu’il fait bon méditer aujourd’hui !
Le second texte qui frappe dans cette 19e livraison, s’intitule « MESURE DU NON-ÊTRE ». Ce que Pauline Von Aesch y écrit entre hardiment en écho et avec nos existences présentes, confinées et diminuées, et les propos d’Alexander Kluge.
je suis semblable dans tous les mondes
suspendue dans une éternité déjà vécue une fois,
tachés, même roches crayeuses
se confiner
s’assembler les formes du nœud
infini cérémonial
les mots ne sont aucune fois pour tous
aucun mot pour toute une vie
et l’on dit que toutes les vies sont dans les mots avec certains
mots toujours hors de certaines bouches et aucune bouche
vide de tout
mot
même si le mot ne dit jamais le mot – la bouche sert à en être pleine
Cette revue est petite, entendons brève, modeste. Pourtant, on y saisit souvent des lueurs, des idées, des langues, qui nous traversent, nous habitent, nous accompagnent. Et pour le dire, nous aident.
Hugo Pradelle.