Cette année, passée pour une grande part confinés, a quelque chose de paradoxal tant les citoyens sont intervenus dans la vie publique, prenant à partie leurs représentants, poussant les médias à mettre des sujets en lumière, manifestant, produisant de nouvelles formes de discours politiques, avec le désir de rendre plus visibles des enjeux qui aujourd’hui sont sur le tapis. Les mouvements en réaction aux morts récurrentes de noirs abattus par des policiers aux États-Unis, les manifestations Black Lives Matter, la dénonciation des violences sexuelles, la remise en cause du patriarcat, le mouvement de la cancelled culture… On n’en fera pas la liste, mais c’est peu dire que beaucoup de questions se posent !
Dans ce contexte, de nombreuses jeunes revues questionnent le genre, les identités, reconsidèrent une certaine forme de militantisme et d’intervention dans la cité. Un fanzine tout jeune, publie son deuxième numéro : Le Castor. On imagine assez aisément le pedigree de cet animal-là : qui va chercher plus du côté de Simone de Beauvoir que de la zoologie. Son équipe s’emploie, sous une forme assez dynamique, avec beaucoup d’images, dessins, photographies, à intervenir dans le champ social, à défendre des positions militantes, à affirmer une certaine plasticité des identités, à prôner une forme de liberté assez radicale.
Ce numéro est consacré entièrement à des formes poétiques. Et c’est à partir de poèmes qu’une conception du monde contemporain se fait jour, avec une grande diversité de formes. Dans son éditorial, Pam Meliee Sioux rappelle l’importance de la poésie dans la vie réelle que l’on sous-estime trop souvent, présentant des figures marginales saisies par la « conscience de cette force, de cette liberté totale qu’est la poésie » et qui « en font un outil d’empowerment et un moyen d’action pour combattre la léthargie qui nous menace ». Pour elle, Le Castor « se veut un espace multi-identitaire, multiforme et multigenre, un espace de liberté et de création, politique et engagé ». La direction empruntée par la bande de la revue – présentée longuement sur des pages noires à la fin de la livraison – est tout à fait nette malgré le foisonnement et l’hétérogénéité des interventions inégales qu’on y lit.
On perçoit d’évidence la filiation avec les mouvements féministes et une tradition bien connue. Les textes vont dans tous les sens, depuis une poésie un peu ésotérique jusqu’à des textes à chanter en anglais… Toutes sortes de propositions poétiques faites par un fanzine qui ne s’y consacre pas a priori. Il est assurément intéressant de percevoir la galaxie de jeunes revues dans laquelle s’inscrit Le Castor, comment elles se réapproprient une tradition militante en la dirigeant tous azimuts au gré de leurs références ou des enjeux qui émergent avec virulence aujourd’hui.
Hugo Pradelle