Quand des étudiants lisent des revues

Des étudiants de l’École Estienne ont visité le Salon de la revue l’an dernier. Des ces déambulations, des rencontres avec des revuistes, ils ont découvert de nombreuses revues. Certains d’entre eux partagent leurs lectures… Ils nous présentent le projet généreux de Gros Gris, de deux numéros de la surprenante revue Des faits éditées par Prairial, de la toute jeune Coquelicot et d’un numéro de La Moitié du fourbi

 

 

Brume solaire

Gros gris, n°5

 

​​Gros Gris est une revue curieuse et pluridisciplinaire qui met en lumière de jeunes artistes et des auteurs en faisant dialoguer images et mots autour de thématiques de portée générale. Chaque numéro fait l’objet d’un appel à contribution ouvert à tous : étudiants, artistes, professionnels et amateurs. Manière de laisser une porte ouverte à l’imprévu, de décloisonner les disciplines, d’aller au-delà des archétypes et laisser place à une pensée de l’inédit. Les numéros se construisent ainsi autour de découvertes, de coups de cœur et de contributions d’une équipe éditoriale très vive qui regroupe Maria-del-sol Abeilhe Godard, Mélodie Boubel, Lorine Boudinet, Claire Flauss, Anne Le Coz et Auriane Schmitt. Toutes viennent d’horizons différents ce qui ouvre à une réelle diversité quant aux choix des projets.  Le lecteur découvre un large éventail de questionnements et de visions abordés par des approches plastiques comme des travaux de recherches universitaires : se succèdent au fil des pages illustrations, reproductions de vidéos, fictions ou encore portfolios d’artistes.

 

Le numéro consacré à « La disparition » frappe par son ouverture, sa présence et sa prégnance dans la vie de tous les jours, mais qui crée également beaucoup de tensions et provoque des émotions variées. Riche de nombreuses possibilités critiques et esthétiques, la livraison procède d’une ouverture qui opère comme une curiosité infinie…

 

Les rideaux de la couverture se lèvent et tout disparaît. Les textes et les projets offrent un paradoxe ambitieux : ancrer la disparition, la montrer et la faire exister en somme. L’absence, l’effacement, le non perceptible, voire la mort, y sont examinés avec précision. La lecture de ce numéro séduit, ouvre à un sentiment de familiarité et d’inquiétude qui prend corps à travers des représentations graphiques, des textes courts et longs, des poèmes et des photos. Les auteurs – Charlotte Boul’ch, Flore Chemin ou René Ralph – nous confrontent à des questions sur les ravages du temps, les marques de la nature sur le corps, l’étiolement du rapport avec l’animal vivant, l’effacement de soi-même au travail ou encore les rituels symboliques de nos cultures. On se sent bousculé dans nos conceptions, mais toujours avec une grande douceur sous-jacente. Dans Gros gris, la disparition devient belle, pleine et ne se résume plus à l’action, au fait de cesser d’un coup d’être visible. Ses causes, ses conséquences, son point de départ soulèvent des interrogations vives.

 

Il y a bien d’autres petits plaisirs de découvertes dans ce Gros Gris alerte où la variété des créations s’accorde selon un rythme doux et stimulant et qui, fermement, nous embarque. Ici, du léger au plus grave, rien ne pèse, tout séduit. Redonnant sa beauté à la disparition, Gros Gris ne forme-t-elle pas invitation à lâcher prise face au manque et à l’absence ?

 

Anaëlle Colette, Maxance Demoncy, Loïse Gousset & Loïse Guen.

 

 

 

LE FAUX MAGNIFIÉ

Des Faits, n°1

 

21 mai 2018 : François Burkard publie la première livraison de la revue Des faits.

 

Entre faits historiques et pures fabulations, Des Faits place le lecteur dans une position d’enquêteur au cœur d’un complotisme assumé. Si le journalisme a pour vocation de communiquer une actualité au lecteur, de faire état de la réalité, Des Faits prend le parti de nous offrir une vision théâtralisée de celle-ci, comme si le réel n’était qu’un prétexte pour raconter des histoires. Les sources ne sont pas vérifiées, l’histoire réinterprétée, les faits déformés, détournés, inventés.

 

Ainsi, à l’époque des fake news, Des faits rappelle aux lecteurs l’importance d’avoir un recul critique à l’égard de l’information. Des faits, rien que des faits. Pas de publicités, ni de photos, l’ambiance visuelle y est sobre. La place du texte y est revendiquée et ponctuée par des gros titres en linéales. Seule la couverture arbore une couleur, un rouge vif dense.

 

Pour accompagner ces articles, on trouve des dessins et gravures au trait franc. Ils sont réalisés par Géraldine Chazel et Quentin Schwab, d’un noir charbonneux, en hommage aux gravures des canards d’antan. Tout indique, pour le lecteur attentif, que nous avons affaire à une revue qui s’inscrit dans un long héritage satirique.

 

En mélangeant des informations que chacun peut avoir entendues dans une conversation, les auteurs déroulent une fiction à partir d’un fait. Ainsi, chaque article plonge le lecteur dans une ambiance absurde et captivante.Benjamin Lévy nous parle de l’enlèvement d’un jeune électrosensible devenu cobaye dans un laboratoire secret et quelques pages plus loin, le même auteur nous livre une analyse inédite de la légende de l’Atlantide ensevelie sous le sable.

 

De la remise en question de l’école platonicienne, jusqu’à une réinterprétation de l’histoire de l’Occident ou, plus proche de nous, du gouvernement français, tout est permis, pour le plaisir des sceptiques et autres lecteurs sérieux et rigoloards. En composant avec certaines légendes urbaines et faits divers connus, les auteurs hameçonnent le lecteur et le conduisent par-delà les lieux communs : comme une invitation à se permettre un peu de légèreté dans un monde où les informations toujours plus dramatiques nous éloignent de l’imaginaire.

 

Dans cette démarche très étonnante, très dynamique et audacieuse, le vrai et le faux n’ont plus lieu d’être, puisque « le canard, fruit de l’accouplement du paradoxe et de la fantaisie, finit toujours par se trouver vrai ».

 

Simon Dagnan, Louise Fradet, Louise  Leret-Parmentier & Marion Prost 

 

 

 

 

DES FAITS, FAIT L’EFFET !

 Des Faits, n°2

 

Des faits est une revue indépendante inscrite dans notre époque de fake news, qui présente selon une tonalité satirique une série de faits divers exagérés ou bien complètement faux. Illustrée de dessins et de gravures réalisés à la carte à gratter, elle incarne un hommage aux canards du XIXe siècle, un terme utilisé pour raconter des mensonges ou berner une personne. Par ailleurs, il désigne également les modestes bulletins d’informations distribués dans la rue à cette époque et réputés pour diffuser de fausses informations.

 

Parue pour la première fois en 2018, Des faits est une publication annuelle qui compte aujourd’hui deux numéros et financée à 100 % par ses fidèles lecteurs. Le second numéro a été tiré à cinq cents exemplaires et comporte quatorze faits divers, écrits par treize auteurs différents. Ces éditions circulent par des moyens de distribution alternatifs, comme les salons spécialisés (au premier chef le Salon de la revue) et quelques rares librairies quelque peu militantes.

 

Des faits n° 2 frappe par sa couverture : fond noir, lettres en capitales blanches,  et intitulés absurdes ( !) invitent à la lecture. Le titre imposant, semblable à la une d’un journal, ainsi qu’une illustration en gravure rouge que l’on peine à distinguer, placent le numéro sous le signe du mystère et du tragique. Cette seconde édition, sortie au printemps 2019 sous la direction de François Burkard radicalise la ligne éditoriale de la première. En effet, bien qu’elle ait quasiment conservé la même mise en page, elle apparaît simplifiée et homogénéisée. Le papier est plus épais, le style graphique plus uniforme, le tout rythmé par des gravures signées Géraldine Chazel & Quentin Schwab. Dans un format à peine plus petit qu’un A4, les articles de la revue se développent en noir et blanc sur soixante-douze pages de papier lisse. Seule touche de couleur, le rouge sur la première et quatrième de couverture, comme son prédécesseur avec ici une barque et une hydre mêlant le plausible et le fantasque. Un édito, des actualités, des articles, des reportages, des enquêtes et même un horoscope ! Rien ne semble au premier coup d’œil particulièrement extraordinaire.

 

En réalité, les faits rapportés, dont les titres occupent largement la couverture, consistent tous en des affabulations. Si la publication tente de rendre crédibles des témoignages aussi gros que celui d’une employée de la présidence taïwanaise prétendant que leur dirigeante a été remplacée par un robot androïde, le lecteur peut facilement se prendre au jeu. En effet, il n’est pas signalé que les articles sont réellement fictifs, le but étant de créer un trouble chez ceux qui ne le réalisent pas d’emblée. Lecteurs crédules, soyez sur vos gardes !

 

Quel futur pour Des faits ? Un troisième numéro, peut-être ? En rencontrant François Burkard lors du Salon de la Revue 2021, nous avons appris que ce deuxième numéro serait probablement le dernier. Les créateurs de cette revue mémorable se consacrent désormais à Marteloire, un nouveau projet éditorial rendant lui aussi hommage à un ancien format de presse, celui de l’ours. Ce sont des grands posters collés dans la rue dans lequel on retrouve un feuilleton raconté aux passants qui s’arrêteront quelques minutes pour le découvrir. Autre manière de reconsidérer les faits par des fictions adressées à tous.

 

Laure Bourgain, Alexis Verdin, Yuna Gratient, Basile Maurel & Enora Pichavant

 

 

 

Rencontre avec Coquelicot

(Entretien imaginaire avec la revue Le Coquelicot au sujet du numéro sur le« Cosmos ».)

 

Bonjour Coquelicot, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis une revue littéraire de petit format, j’allie poèmes, illustrations et photographies dans une mise en page haute en couleur, vivante et surprenante.

 

Rappelez-nous votre âge…

J’ai bientôt 4 ans, âge auquel je fêterai ma 8e parution. J’éclos deux fois par an, en automne et au printemps.

 

Et où avez-vous pris racine  ?

À Lyon, grâce au travail d’Aglaé Collin, Clara Reboux et Hannah Starck.

 

Le cosmos est donc au programme, n’est-ce pas ?

Oui, rien de moins. À chaque parution, son thème. Comme l’écrit Aglaé Collin dans l’édito : « Le cosmos en éruption se prête au jeu. Il laisse flotter les mots au-dessus de nos pages… » Chacun a sa manière de m’appréhender. Cyprien Muth parle d’ « un rond de lune dans un carré de ciel » dans son poème de cinq vers. Lionel Marçal me définit dans Spleen et solutions tel « Un Cosmos comme un bordel », tandis qu’Eva Monduc produit les illustrations nommées Hermès. 

On trouvera aussi des analyses sur Nana d’Emile Zola ou encore sur Ruy Blas de Victor Hugo mis en scène par Yves Beaunesne.

 

Quelque chose à ajouter pour finir  ?

Simplement les mots de Tristan Colovray : « Je suis l’instant qui meurt, je suis l’instant qui vient, et jamais ne me repose ».

 

 

Bertille Louis, Emma Gouriou, Chloé Prost & Violette Rouzeyrol

 

 

 

 

Entre haine et amour, pas de demi-mesure

La moitié du Fourbi n°10 : « Je ne te hais point »

 

 

À mi-chemin entre l’essai poétique et la revue artistique, La Moitié du fourbi nous entraîne dans un cheminement littéraire sensible, parsemé de tranches de vies, d’instants, de souvenirs. Thème de sa dixième livraison : « Je ne te hais point ». La Moitié du fourbi est née d’une rencontre entre auteurs et passionnés de littérature qui partageaient l’envie commune d’ouvrir un espace d’écriture, d’échange. Depuis ses débuts, Frédéric Fiolof, directeur de la revue que nous avons eu la chance de rencontrer, invite autour d’un numéro ses amis et de grandes personnalités de la scène littéraire afin d’élire un thème, un sujet de réappropriation. Le résultat prend la forme de cent-douze pages de contenus véritablement hétéroclites, qu’ils soient littéraires ou plastiques, à savoir des essais poétiques et philosophiques, des récits dessinés ou photographiés et bien d’autres surprises.

 

La Moitié du fourbi se distingue par sa composition, organisée de manière similaire d’un numéro à l’autre avec des éléments récurrents, comme la têtière, la mise en page, et la mise en place de 2 couleurs et typographies par numéro. La couverture comporte peu d’éléments, ce qui met en évidence le titre souvent présenté de façon épurée. Dans cette revue, l’élément principal de la couverture est le titre « Je ne te hais point » avec une typographie blanche sur fond vert et bleu découpé par une ligne au coin inférieur droit. La composition des pages apparaît très ordonnée et linéaire avec une organisation tantôt en colonne tantôt en pleine page, qui joue sur les tiers et demis verticaux de la page. En vert en haut à gauche, le numéro du chapitre surplombe son titre, entouré d’un blanc tournant. En bleu, le reste du texte sur une grille de 4 colonnes et ponctué de temps à autre par la présence de légendes vertes dans le coin inférieur droit. La revue comporte deux typographies. Une linéale bold pour les titrages et regular pour les notes de bas de page ; et la Garamond utilisée pour le texte courant, avec ses empattements qui contraste grandement avec la première.

 

En parallèle, la gamme colorée est constituée de deux nuances relativement saturées : un vert menthe et un bleu roi. Ce contraste permet aux informations d’être davantage mises en exergue sous forme de dégradés légers ou de bichromies pour les couleurs de fonds de pages ainsi que pour certains visuels en gravure de couleur bleue. Appliquée à la typographie, ce duo coloré permet d’attirer l’œil du lecteur. Dans ce dixième numéro de La moitié du fourbi, le thème majeur est celui du rapport entre haine, amour et pardon. Au-delà de cette ligne directrice s’enchaînent des sous thèmes tels que le souvenir, le regret et la rancune, dans une lecture qui fait alterner douceur et amertume. Le numéro s’ouvre sur une petite bande dessinée humoristique, permettant à son lecteur de s’installer confortablement, avant de poursuivre sur une série de textes, articles, lettres ouvertes qui abordent chacun la notion de la rancune, du pardon et de l’amour, dans un grand spectre de tons et de perspectives. Tantôt l’on sourit, tantôt l’on se questionne, tantôt l’on pleure, avant d’admirer le remarquable coup de crayon de Xavier Mussat et la série de portraits photographiques de Spencer Murphy.

 

La sensibilité de cet objet éditorial étonnant crée une intimité avec le lecteur, tant par sa variation de ton que dans la justesse de sa réflexion : une promenade littéraire dénuée de tout jugement moral. On ne peut qu’apprécier ce moment passé en compagnie de « Je ne te hais point », semblable à un moment chaleureux en compagnie d’un ami sincère.

 

Enzo Dekiere, Justine Duval, Solène Jamet & Jessy Moreira