Alors que le magazine belge Eddy a annoncé il y a quelques semaines la fin d’une aventure longue (et en même temps bien trop courte) de trois numéros, une nouvelle publication est, ce printemps, entrée dans l’arène littéraire et sportive : Panard. Ces deux trajectoires semblent symptomatiques d’un angle, thématique, culturel et journalistique, qui émerge ces dernières années, avec ses difficultés endémiques et ses fortunes diverses.
Au premier coup d’œil, comme dans le temps long de la lecture, il existe autant de différences que de points communs entre Eddy et Panard. Si la première avait misé sur l’identité belge, dans la continuité de sa grande sœur Wilfried (2017, 19 numéros à ce jour), Panard, bien que francocentrée, n’en reste pas moins ouverte à l’internationale, preuve, s’il en faut, que le sport est, aujourd’hui, une pratique à la fois mondialisée et universelle. Si Eddy, adossée à une entreprise de presse organisée en coopérative, avait choisi le modèle du magazine, tant dans son format que dans la texture de son papier, Panard, distribuée en kiosque, en librairie et au format numérique (via la plateforme Cairn), a fait le choix plus contemporain du « mook », où la culture du magazine profite d’un façonnage tout livresque. Dans le cas de Panard, la filiation est, elle aussi, toute définie par les éditions de l’Attribut qui, avec Nectart (société et mutations culturelles à l’ère du digital), puis Dard Dard (transitions sociales et écologiques) se sont déjà imposées dans ce domaine propre à l’hybridation éditoriale.
Les écarts de forme, toutefois, n’empêchent pas les orientations de fond de se répondre dans une volonté commune : celle de faire, au travers d’une rénovation du reportage, du sport un territoire de récits. Des histoires d’exploits, d’échecs, de combats, avec toujours dans le rond central des hommes et des femmes d’exception, présentés sous leurs atours de héros modernes, humbles et puissants à la fois, en dehors des leviers hagiographiques propres aux grandes icônes du sport. Eddy avait choisi de se placer auprès des sportifs, pour entrer dans leur quotidien, et faire ainsi dialoguer ordinaire et extraordinaire, vérités générales sur les disciplines et anecdotes les plus originales, à l’exemple du français So Foot, ce dernier ayant réussi à imposer sa patte par une liberté de ton capable de revoir les standards du journalisme sportif. Panard a, quant à elle, choisi de s’inspirer d’une autre référence en la matière : Desports, revue au graphisme léché et premier terreau d’innovation des éditions du Sous-sol. Là, les récits sont teintés d’une force analytique et d’un écho historique supplémentaire, comme lorsque Julie Gaucher revient sur le parcours d’Althea Gibson, première tenniswoman noire titrée en grand chelem, ou quand André Suchet retrace cinquante années d’évolution du sport nature. Ces deux articles sont, d’ailleurs, à l’image de la ligne éditoriale ambitieuse de Panard, l’histoire y étant relayée par une approche propre aux sciences humaines et sociales, rappelant de la sorte la dimension monumentalement spéculaire du sport.
Dans l’une comme dans l’autre de ces deux publications s’affirme une idée, qui ne cesse de germer dans la sphère culturelle : le sport est un vivier exceptionnel d’histoires. Les raconter suppose néanmoins de s’écarter des images qui inondent le moindre des spectateurs. A chaque fois, un pas de côté est nécessaire, pour voir le sport autrement, mais aussi pour que le sport donne à voir d’autres choses. Dans tous les cas, toutefois, il implique l’humain, dans sa dimension psychologique, sociale et mémorielle, pour montrer comment il négocie avec les lieux communs afin de mieux façonner les souvenirs et les exploits les plus originaux.
Ces deux publications ont – ou ont eu – l’ambition de lier la tête et les jambes, pour valoriser les actes des sportifs, mais aussi l’impact spectaculaire qu’ils ont sur nous. Dans cette démarche, Panard adopte une position presque engagée, et pour le moins pertinente, en donnant la parole et la plume successivement à Guillaume Martin, leader de la formation cycliste Cofidis, et à Stéphanie Gicquel, coureuse d’ultrafond. Preuve qu’il existe des lignes de fuite entre l’effort compétitif, l’imaginaire et les récits.
Frédéric Gai