Quartette #10

 

 

 

Un texte à soi

 

Le mouvement #metoo  aura eu comme autres bienfaits de faire naître toute une série de nouvelles revues comme La Déferlante (qui annonce son prochain numéro: https://revueladeferlante.fr/), RADICAL(E) (soirée de lancement le samedi 28 Exc librairie) ou Un Texte à soi.

 

Lancée par la librairie Le Comptoir des mots, cette revue fondée par Marie Morel et Agathe Morelli suit le même principe que L’Ours blanc en ne publiant, à chaque numéro, qu’un seul texte. Trimestrielle, féministe, elle est « pensée comme un manifeste et une tribune ». En septembre, Camille Froidevaux-Mettrie a inauguré la série. La deuxième livraison, signée Élise Thiébaut, invite à découvrir les aventures des écoféminismes, de Françoise d’Eaubonne à aujourd’hui. L’itinéraire est joyeux, surprenant, riche de nombreuses références, à des années-lumières des simplifications habituelles sur un sujet qui ne saurait être réduit à des histoires de barbecue. Biographe de Françoise d’Eaubonne, éditrice de la newsletter et de la collection « Nouvelles lunes », Élise Thiébaut rappelle le rôle de Xavière Gauthier ou de Vandana Shiva dans la construction de la notion d’écoféminisme. Une très utile bibliographie clôt le numéro. Écrit d’une plume jubilatoire, ce petit texte est un vrai bonheur de lecture, maniant avec dextérité l’humour et la polémique. Dès le premier paragraphe le ton est en effet donné: « Vous vous demandez ce que c’est, ce machin dont tout le monde  parle, qui sent la sorcière et la fin du monde, le yoga sur Insta et le buddha bowl. Et j’ai une bonne nouvelle pour vous : l’écoféminisme est bien  plus qu’une lubie de foldingues ébourrifées, qui exhibent leur chevelure arc-en-ciel et des tatouages de vulve ou de lune croissante. J’ai aussi une mauvaise nouvelle pour vous: il n’y a pas un mais des écoféminismes, comme il n’y a pas la mais des femmes, un grand réchauffement climatique mais des crises multiples, systémiques, entrecroisées, qui mettent notre existence même en péril. »

 

 

 

Europe en fête –

 

L’année, pour le monde des revues, s’ouvre en fêtant les 100 ans d’Europe. Un grand colloque international organisé par Marc Crépon, Jean Lacoste, Martine Liégeois, Jean-Baptiste Para et Mario Ranieri Martinotti se tiendra à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Le programme est disponible ici.

 

Du 26 au 28 janvier se retrouveront de prestigieux spécialistes de littérature, de philosophie et d’histoire qui retraceront l’itinéraire d’Europe, de Romain Rolland à Jean Cassou, Jean-Richard Bloch, Jean-Paul Sartre ou Jules Supervielle. Les paroles d’écrivains couronneront ces journées avec une table ronde réunissant Olivier Barbarant, Pierre Bergounioux, Marcel Cohen et Florence Delay. Revue de lettres et de sciences humaines, de philosophie, de création, Europe demeure, sous  la houlette de Jean-Baptiste Para, un des cœurs battants de la vie de l’esprit et de la création contemporaines.

 

Poster / École Polytechnique d’Athènes rendant hommage à Pavlos Fyssas, rappeur anti-fasciste assassiné par Aube dorée, octobre 2015 © CC BY 2.0 DEED/Nagarjun Kandukur/flickr

 

 

Fascisme grec –

 

Europe fut le fer de lance de l’antifascisme et l’on aurait tort de croire ce combat d’arrière-garde. Dans le numéro de décembre de la revue Études, un article parfaitement documenté de Nicolas Richen consacré à « l’offensive contre “l’ennemi intérieur et extérieur” en Grèce » brosse un tableau inquiétant. La dissolution du parti néonazi Aube dorée n’a en rien fait disparaître la menace fasciste ni la tentation d’un retour à un régime autoritaire. Si les nostalgiques de Mussolini ont conquis le pouvoir en Italie, ceux des Colonels sont nombreux à soutenir Nea Demokratia, parti qui ne cesse de s’extrême-droitiser en attirant à lui les anciens d’Aube dorée et de petits partis xénophobes et complotistes. Pour Nicolas Richen, à la traque impitoyable des exilés, migrants et réfugiés, s’est ajouté une répression typiquement fasciste des militants radicaux et libertaires. Depuis l’assassinat du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas, la répression s’est accrue et les « coups de balais » se sont systématisés. Le quartier d’Exarchia, ce quartier central, vivant, bariolé et délabré, est désormais régulièrement occupé par une police militarisée dont les violences semblent « sans précédent » depuis la chute des Colonels.

 

 

 

Bonnes questions –

 

Dans sa brillante et précise contribution parue dans la revue Commentaire, Gilles Andréani s’interroge : « L’Occident est-il responsable de la guerre d’Ukraine ? ». Certes, Pierre Hassner avait indiqué à l’auteur que regretter le traité de Versailles au moment de Munich ne donnait guère d’indications sur la conduite à tenir face à Hitler. Mais revenir sur la fin de la Guerre froide et la réalité des relations des Etats-Unis et de l’Europe avec la Russie ne peut qu’être utile à la compréhension du moment présent. Cela permet d’évacuer certains mythes et de rappeler par exemple les avancées de la politique du reset russo-américain sous Obama. Cela permet aussi de mesurer l’ampleur des risques stratégiques que court le monde aujourd’hui. Ancien directeur du centre d’analyse et de prévision du Ministère des affaires étrangères, Gilles Andréani conclut son article par une autre question, particulièrement d’actualité : « Sommes-nous si sûrs de pouvoir rester à l’écart de la guerre d’Ukraine ? »

 

 

François Bordes

 

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